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Radical Notes 27

Mouvement moderne ?[Movimento Moderno ?]

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Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de « Casabella » , du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 « Radical Notes ». L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du XVIIIe siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » ( « Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972 ). Texte proposé et présenté par Nathalie Bruyère.

Nous devons encore nous confronter à la question de savoir si la définition du Mouvement moderne, qui est à la base de l’historiographie architecturale, correspond à un fait historique qui s’est réellement produit, c’est-à-dire qui est objectivement vérifiable dans les faits, ou si ce concept n’est pas plutôt un « projet », c’est-à-dire une hypothèse opératoire construite sur une intuition critique et non sur des faits. À la lecture des critiques modernes (Benevolo, Zevi, etc.), il ne semble pas y avoir l’ombre d’un doute sur l’existence d’un contexte d’idées, de programmes, d’idéologies et de projets qui, en dehors de quelques problèmes de périmètre, est clairement identifiable dans un « mouvement » né au début du xxe siècle et qui s’est développé jusqu’à aujourd’hui. Mais déjà dans la lecture de ce qui devrait être les données de base incontestables, il y a de grandes différences et même des textes ouvertement contrastés, et ce, non pas tant parce que comme on pourrait le dire, l’histoire, si elle est récente, est toujours une image éclairée par l’idéologie de ceux qui l’explorent, mais parce que ces données chronologiques à nu sont clairement, trop clairement, ambiguës.

Disons qu’au moins entre les deux guerres, le Mouvement moderne est présenté comme un phénomène clairement « unitaire », doté d’une idéologie, d’une méthodologie et d’un style, avec des choix politiques clairs et un destin précis. Ce phénomène historique aurait été le seul à se concrétiser, puisque ses pairs (peinture, musique, littérature) peuvent être définis comme tout autre chose qu’une recherche unitaire dans le même contexte idéologique. Aucun historien n’échappe à cette hypothèse unitaire, que ce soit lorsque Benevolo nous présente son contenu avec des passages aériens miraculeux, ou lorsque Tafuri reconstitue dans l’obscurité un réseau pervers de connexions avec le capital avancé.

De cette unité, il semble exister des preuves tangibles de simultanéité, de coïncidences, de passages précis d’informations, d’unités de style et de points de soudure constitués par les CIAM. Pourtant, si nous lisons les textes des protagonistes, lettres ou journaux intimes, nous ne trouvons aucune trace d’une intention programmatique commune claire. Ces acteurs ne vivaient pas non plus dans un contexte historique unique capable d’assurer une unité : différents pays, différentes cultures, différentes intentions. La réponse à ce doute, bien sûr, n’est pas que « l’histoire n’existe pas », mais plutôt qu’une « interprétation » opérationnelle sur le présent a été donnée de ces faits qui se sont produits (parce que des faits se sont produits), c’est-à-dire qu’ils ont été lus de manière à soutenir les théories actuelles, et sont l’épine dorsale des hypothèses critiques ultérieures. Et c’est notoirement un problème qui concerne toute l’historiographie. Mais dans ce cas précis, il pourrait également s’agir d’un faux historique, qui, au lieu de clarifier la situation actuelle, la cache peut-être, la masque derrière des « données historiques objectives » qui n’existent peut-être pas. Faisons un essai : considérons un éparpillement d’actions sans programmes et sans dénominateur commun, éliminons ainsi toutes les connexions entre les différentes étapes de son déroulement, pour en arriver à une succession pure et simple de projets.

Si, au lieu de voir le Mouvement moderne comme la naissance d’une nouvelle culture, un acte vital après la mort de l’architecture historique, nous voyons cela comme le dernier acte de cette même culture historique qui meurt au contact du développement industriel ; si nous voyons cela comme la disparition progressive de la culture elle-même ; si, au lieu de chefs-d’œuvre révolutionnaires, nous voyons des preuves de la fin des anciens systèmes de pensée et de culture, alors le Mouvement moderne et sa phénoménologie proposent une image différente de la précédente. En changeant l’optique, le signe ou la direction, nous n’aurions pas simplement un passage historique « négatif », qui n’est utile à personne, mais nous obtiendrions deux résultats intéressants. D’abord, nous pourrions donner un sens plus précis à la longue série d’échecs que le Mouvement moderne a connus ; je ne vais pas les énumérer ici un par un, il suffit d’évoquer celui de la ville moderne, compréhensible par tous. La déconnexion entre le Mouvement moderne et la réalité (tant sociale qu’industrielle) acquiert de ce point de vue à la fois une justification crédible et un sens positif. Sa continuité évidente avec l’architecture historique deviendrait dans ce cas compréhensible comme un phénomène objectif plutôt que disciplinaire.

Un deuxième résultat important peut être atteint pour le présent : en supprimant le lourd héritage d’un passé récent, glorieux et encore en développement, il serait possible d’abandonner la gestion des limites et des erreurs qui découlent de cet héritage, pour ne considérer à l’extrême limite qu’un déclin progressif de toute la tradition de l’architecture historique. Ce n’est pas un mince avantage, ne serait-ce que sur le plan psychologique. Considérer, par exemple, Le Corbusier comme le dernier épigone de la culture inamicale du xve siècle pourrait également être un exercice sain pour beaucoup. La nécessité de faire table rase de toutes nos traditions récentes, qui pèsent déjà plus que les anciennes, ne découle pas d’un mouvement iconoclaste général, mais du constat qu’aucun de ces héritages n’est à l’échelle de l’époque que nous vivons, qu’aucune méthodologie ne nous aide aujourd’hui dans la ville où nous vivons ; la crise de l’architecture se manifeste dans une telle dimension que la distinction entre l’historique et le moderne est une distinction sans poids réel.

Il s’agit également de supprimer un principe d’autorité, un tic de caractère qui pourrait même devenir dangereux. Essayons de nous réveiller un matin, à une heure indéfinie, de n’importe quel jour, gris mais sans étrangeté, et essayons de penser que nous devons encore recommencer à tout faire.

Casabella, vol. xl, n° 412, avril 1976, p. 10.


Notule par Nathalie Bruyère

Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de Casabella, du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 Radical Notes1. L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du xviiie siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » ( « Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972 ).


  1. Les titres des 27 chroniques des Radical Notes de Andrea Branzi sont listées dans la présentation de la Radical Notes n°1 « Stratégie du temps long ».↩︎