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Memorandum. Couchés, posés, disposés…

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Une bibliothèque est comme une tentative émouvante et dérisoire de faire barrage à « l’atlas de l’impossible » qu’est, finalement, le monde. Pour une part, elle assume cet hétéroclite dont Foucault rappelle l’étymologie : « les choses y sont couchées, posées, disposées dans des sites à ce point différents qu’il est impossible de trouver pour eux un espace d’accueil, […] de définir un […] lieu commun ». Pour une autre, elle résiste à cette puissance de l’hétérogène et de la diffraction.

C’est avec la figure d’une « certaine encyclopédie chinoise » imaginée par Borges que Michel Foucault ouvre la préface de Les Mots et les Choses. Mieux, il attribue à cette étrange construction où « les animaux se divisent en : a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification… », le lieu de naissance du projet qui l’anime. Avec cette étonnante taxinomie serait révélé l’impossible à penser et, partant, le nécessaire à situer.

Ce qui pourtant nous retient dans ce bestiaire foucaldien n’est pas tant le motif de Lettres persanes au regard inversé, mais l’évocation des blancs interstitiels et des espaces vides qui séparent les individus rangés dans les rubriques, le rappel des puissances de l’ordre alphabétique et l’inquiétante étrangeté de la simple juxtaposition comme du voisinage des choses. Ce qui plus encore nous intrigue, c’est la lecture proposée : ce que cette fable exposerait va plus loin et signale la ruine de tout espace de rencontre sauf peut-être dans « le non-lieu du langage »; « sauf dans la voix immatérielle qui prononce leur énumération, sauf sur la page qui la transcrit ».

Une bibliothèque est donc comme une tentative émouvante et dérisoire de faire barrage à « l’atlas de l’impossible » qu’est, finalement, le monde. Pour une part, elle assume cet hétéroclite dont Foucault rappelle l’étymologie : « les choses y sont couchées, posées, disposées dans des sites à ce point différents qu’il est impossible de trouver pour eux un espace d’accueil, […] de définir un […] lieu commun ». Pour une autre, elle résiste à cette puissance de l’hétérogène et de la diffraction.

Construite à plusieurs voix, la bibliothèque de Problemata oscille dans cette tension. Elle tente de situer ces couches, au double sens du lit de la clinique ou du repos et de l’épaisseur feuilletée des objets. Elle sait l’arbitraire des choix. Surtout elle fait le pari de ce seul commun du langage, et plus spécifiquement du texte, espace et mot, graphisme et sens conjugués. Plus encore, elle escompte son lecteur.

En ce sens, elle ramasse et rassemble le style des morceaux choisis de l’enseignement d’autrefois, le genre des mélanges qui sont un hommage classique, voire de la marqueterie et de la macédoine pour prendre deux métaphores des arts de vivre, ou celle plus contemporaine de la playlist. Ce faisant, elle se propose comme un cabinet de lecture et un salon où s’articulent la rencontre de hasard et l’orientation magistrale, les poetae minores évoqués par Baudelaire et les références de l’école, la déferlante des images instagrammées-instagrammables et la fixité des auteurs, l’anonyme et la signature. Elle installe des séries. Elle pose des balises. Libre à chacun de s’en saisir, ou pas.

D’autant plus que cette petite bibliothèque réunit les écritures et les auteurs que nous lisons, nous dans notre diversité, nous dans nos controverses, nous dans nos contreventements, nous dans nos langues éclatées.