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Radical Notes 13

Technique pauvre [Tecnica povera]

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abstract

Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de « Casabella » , du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 « Radical Notes ». L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du XVIIIe siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » ( « Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972 ). Texte proposé et présenté par Nathalie Bruyère.

En retirant, même temporairement, à la technologie le code logique de ses relations, nous ouvrons la porte à un énorme gaspillage d’énergie constructive : joints bancals, clous cassés, non-linéarité, travail d’approximation, éclats, fragilité, structures surdimensionnées, fissures, pauvreté...

Les « limites de sécurité » peuvent être contournées en amont et en aval et ne représentent en fait qu’un alibi moral. Les « limites de l’insécurité », en revanche, permettent le libre accès aux processus constructifs (et créatifs) à des couches entières de la population qui étaient jusqu’à présent exclues de l’art de la construction.

La découverte préliminaire de la mauvaise technologie réside dans le fait que les structures tiennent toujours debout, et qu’il importe peu de faire treize ans d’école et cinq ans d’université pour faire tenir un poteau debout.

L’identité entre une structure constructive et une logique mentale a toujours soutenu la culture architecturale depuis le xviiie siècle, constituant une sorte de sécurité inattaquable, un dogme naturel à proposer comme cadre de base pour tout type d’évolution culturelle possible. Le correct ou l’incorrect structurel est l’idéologie civile qui divise le monde des choses construites : la seule énergie constructive reconnue jusqu’à présent est la Science, tandis que l’Ignorance n’a jamais été identifiée comme une énergie potentielle de signe opposé. Pourtant comme le Ciel et l’Enfer, elles s’impliquent l’une l’autre et n’ont de sens pas de sens l’une sans l’autre.

Riccardo Dalisi va, avec une abjection mystique, à la découverte de l’énergie créative (ou constructive) de l’Ignorance (ou de l’état sauvage). Opérant des expériences didactiques de groupes, spontanées et aussi de provocation à travers des prototypes offerts à la manipulation, Dalisi agit finalement sans aucune méthode parmi les enfants du quartier de Traiano à Naples. Sans méthode et sans but précis. Je m’empresse toutefois d’ajouter que son expérience n’est pas à prendre comme une énième expérience d’une méthode didactique basée sur la spontanéité, mais comme une enquête dans un champ énergétique encore inexploré. Sans but précis car ces expériences ne visent ni à améliorer le sort de ces enfants (leurs conditions de vie sont si désespérées), ni à créer les bases d’un nouvel art nègre en Italie. L’absence de finalité coïncide ici avec l’absence, à mon sens, de toute possibilité de développement, de systématisation, de suivi. En fait, l’expérience, une fois la méthode rendue permanente, déboucherait fatalement sur un nouveau boy-scoutisme ou à une forme plus grave d’exploitation de la pauvreté comprise comme une catégorie culturelle possible. L’expérience de Dalisi n’est, en fait, ni une expérience sociale, ni une expérience didactique, mais une expérience scientifique. C’est une expérience scientifique parce qu’elle vise à vérifier expérimentalement la libération de la créativité collective, sans l’orienter vers la formulation de principes généraux, mais comme un état pur et simple de l’énergie naturelle.

Les activités des enfants pauvres et semi-sauvages du quartier de Traiano à Naples doivent être comprises comme une tentative de découvrir des échantillons aussi peu pollués par la culture que possible, de telle sorte que leur réaction créative soit la plus proche d’un état de spontanéité totale.

Il est possible d’utiliser l’état d’arriération totale du quartier comme condition d’un habitat non structuré. La relation immédiate entre l’avant-garde et le lumpenprolétariat s’arrête ici : il faut résister à la tentation de voir dans l’importante expérience de Dalisi un objectif beaucoup plus profond, une identité idéologique entre la technique minimale et la guérilla urbaine. Les mécanismes ne sont pas les mêmes.

Les artefacts de la technologie pauvre sont des modèles pour comprendre une récupération publique possible des processus productifs de la culture : abandon complet des significations et des modèles terminaux, expériences d’une communication décodifiée et spontanée. L’œuvre de Dalisi, pleine de dangers et de stimuli, pourrait constituer une grave menace pour toute méthodologie formelle ultérieure de la planification ; elle pourrait en revanche constituer la première exposition formelle d’hypothèses radicales, avec toutes les contradictions que cela comporte.

Casabella, vol. xxviii, n° 385, janvier 1974, p. 8.


Notule par Nathalie Bruyère

Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de Casabella, du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 Radical Notes1. L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du xviiie siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » (« Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972).


  1. Les titres des 27 chroniques des Radical Notes de Andrea Branzi sont listées dans la présentation de la Radical Notes n°1 « Stratégie du temps long ».↩︎