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Radical Notes n° 15

Avant-garde et fascisme [Avanguardia e fascismo]

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Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de « Casabella » , du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 « Radical Notes ». L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du XVIIIe siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » ( « Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972 ). Texte proposé et présenté par Nathalie Bruyère.

On nous a appris que le fascisme coïncide avec la négation de la culture : l’image des nazis brûlant des livres sur les places fait office de couverture du livre noir des horreurs qui mènent aux chambres à gaz. Cette mécanique n’a jamais vraiment été clairement vérifiée (fascisme = non-culture). Au contraire, le fascisme se présente souvent comme un excès de culture, agissant comme un substitut aux programmes sociaux manquants. Armande Plebe par exemple, ce n’est pas un hasard, fait une analyse contraire (communisme = non-culture). L’idée de la culture comme constante antifasciste est basée sur la tautologie bourgeoise de la qualité esthétique comme valeur toujours et uniquement révolutionnaire. La vérification des événements conforte cette certitude : Ezra Pound et tous les grands intellectuels de ce siècle (en laissant de côté la pierre des siècles passés) appartiennent à une aile modérée, souvent excentrique à droite de la pensée sociale, qui nous intéresse peut-être peu aujourd’hui, en raison de la marginalisation progressive de la composante culturelle dans la société actuelle ; de la chute de l’idéologie et sa transformation en pur comportement. D’un autre côté, nous pouvons être très intéressés par la manière dont certains processus d’involution vers la droite peuvent naître de mouvements d’avant-garde culturelle, et comment ce danger est permanent dans toutes les tentatives de refondation de la culture, si l’on essaie d’agir non pas sur les contenus mais sur les mécanismes sociaux de production de la culture elle-même. À cet égard, je pense que le phénomène italien actuel du néo-monumentalisme devrait être analysé en profondeur, tant pour son contenu que pour le poids qu’il pourrait prendre, avec le temps, dans les universités italiennes.

Ceux qui ont lu le livre d’Aldo Rossi savent très bien qu’il n’est pas possible de confondre ses motivations avec les choix vides et maximalistes de ses adeptes, qui sont engagés dans la course pour être encore plus « plus réalistes que le roi ». Disons que dans les données initiales, mûries dès le début des années 1960, à partir desquelles toutes les avant-gardes italiennes se sont déplacées, il y a le rejet du compromis immédiat, le rejet de la modération sociale-démocrate des universités d’architecture, et la stimulation d’une recherche radicale, théorique et utopique, mais, en fait, déjà à l’échelle de la réalité d’un engagement global. À partir de cette base de refondation, le danger d’un saut vers la « redécouverte des valeurs fondamentales de la culture », des archétypes perdus, est cependant déjà présent avec toutes ses implications d’involution à droite : la culture extraite du compromis de la médiocrité quotidienne qui acquiert valeur de fondements autonomes est la preuve d’une intransigeance morale. Ce faisant, elle ne se débarrasse pas de l’identité de la « culture » comme modèle planifié, mais propose au contraire une référence dimensionnelle et symbolique de la réalité. À sa naissance, le néo-monumentalisme était une façon tragique d’« épater le bourgeois1 », de battre la bourgeoisie sur son propre terrain, de l’enfermer dans ses contradictions en refusant son rêve progressiste, et de reproposer l’Académie. C’était une manière équivoque de la transformer en une cabane rigide et arriérée, inutile. Mais le temps a montré une stratégie schématique et équivoque : la bourgeoisie d’aujourd’hui ne rejette plus le fascisme, mais y aspire plutôt comme une solution énergique à une chaîne d’erreurs tragiques. Les jeunes qui adhèrent au monumentalisme, poussés par le rejet de la didactique sociale-démocrate, sont en fait de petits réactionnaires effrayés par le vide disciplinaire.

En d’autres termes, le temps a transformé le jeu réactionnaire ironique en une réalité attrayante : Aldo Rossi, en fondant une « école », a perdu ce diaphragme terroriste qui le séparait de la réalité de son travail, un diaphragme qui lui permettait une marge d’ambiguïté lisible et donc de salut. Et c’est précisément ce qui est tragique, qui se trouve aujourd’hui aligné pour défendre les valeurs de la culture, lui qui, parlant au début des années 1960 du « fondement logique de l’architecture », tentait de l’arracher à la bataille culturelle pour la transférer dans un système scientifique et autonome. Ainsi, la seule garantie révolutionnaire dont le néo-monumentalisme dispose aujourd’hui est précisément la « qualité esthétique » du projet : elle confirme le mythe bourgeois de la beauté comme première valeur révolutionnaire. Le processus d’involution est terminé. Ce qui reste et est exclu de leur système, c’est précisément la conscience de la destruction de tous les équilibres économiques et sociaux sur lesquels ils étaient fondés. La qualité formelle de l’architecture et sa fonction éclairante ne sont plus des paramètres capables de jouer un rôle dans la vie urbaine, les hiérarchies monumentales sont désormais des supports désertés, brûlés par la frénésie de l’usage auquel les structures architecturales sont soumises à tous les niveaux.

Aujourd’hui déjà, l’« architecture » n’existe plus : dans la qualification de l’environnement, la climatisation, la qualité de la lumière et de la couleur sont bien plus importantes que l’harmonie logique et secrète qui préside à la formation de l’organisme intérieur. La ville n’est rien d’autre qu’une structure d’usage, au sein de laquelle les systèmes de représentation (architecture) constituent un obstacle théâtral, un système de contrôle ancien et névrotique.

Casabella, vol. xxvii, n°389, mai 1974, p. 6.


Notule par Nathalie Bruyère

Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de Casabella, du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 Radical Notes2. L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en français. C’est une attache théorique à la Révolution française qui place la bourgeoisie au pouvoir et organise, dans la production industrielle, la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » (« Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972).


  1. En français dans le texte.↩︎

  2. Les titres des 27 chroniques des Radical Notes de Andrea Branzi sont listées dans la présentation de la Radical Notes n°1 « Stratégie du temps long ».↩︎