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Radical Notes n° 19

Apollon et Dionysos à Gallarate [Apollo e Dioniso a Gallarate]

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Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de « Casabella » , du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 « Radical Notes ». L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du XVIIIe siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » ( « Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972 ). Texte proposé et présenté par Nathalie Bruyère.

Bruno Zevi, dans sa réponse à Aldo Rossi dans le n° 226 de L’architettura cronache e storia1, m’implique directement dans la controverse.

Dans le dernier numéro de Controspazio2, Aldo Rossi a rejeté avec une maladresse suffisante les accusations portées contre lui de divers côtés, définissant les revues comme des « modes » et les accusations comme « farfelues » (ce qui est assez approprié, après tout, pour quelqu’un qui possède pour juger de la « mode » et des « stratagèmes » de tous les autres mortels et du monde, une culture et une conception de la ville presque austro-hongroise).

En s’excusant auprès du Student Moviemento3 d’avoir accepté le commissariat de la Triennale, il se définit comme un universitaire naïf, ne méritant pas de telles évaluations. Mais il n’est pas naïf au point de ne pas monter une exposition qui, outre la Tendenza, aligne tous les projets des professeurs d’université les plus improbables, réinterprète la grande architecture stalinienne comme anti-bourgeoise, mais se garde bien de réévaluer avec la même cohérence le travail d’Albert Speer (c’est un défi précis).

Bruno Zevi conteste à sa manière les textes et les réponses d’Aldo Rossi et, à la fin de l’éditorial, presque comme une confirmation externe de ses thèses, cite presque intégralement les « Notes radicales » dans lesquelles j’analysais le processus d’involution de l’école de Rossi, née en réaction à la situation tardive fonctionnaliste et sociale-démocrate et qui a fini par redécouvrir les sources éternelles de l’archtecture, accompagnant mon article d’un titre « Sociaux-democrates ? Mieux que les facistes ! ».

Mais dans cette phase, que je partage politiquement, des malentendus d’un autre ordre peuvent surgir selon les interprétations que l’on fait de moi : « Voyez ce qui se passe quand on s’éloigne du droit chemin du socialisme réformiste et du mouvement moderne ? On se perd, on devient fatalement fasciste ! Il n’y a pas de salut en dehors de l’orthodoxie moderne… » : ce qui, en plus d’être loin de mes intentions, serait comme un mea culpa, comme un repentir, presque comme reconnaître ma propre erreur, plutôt que celles des autres, puisque moi aussi je suis un transfuge, même si dans un autre hémisphère. Il est donc nécessaire de faire certaines distinctions. À cet égard, dans ma chronique du n° 388 de Casabella, analysant le phénomène du soi-disant « socialisme alpestre », j’ai souligné comment, nous trouvant aujourd’hui à devoir choisir entre la tradition orthodoxe du Mouvement moderne et le phénomène involutif du néo-momumentalisme, nous ne faisions qu’un choix conjoncturel, parce que la crise de l’architecture ne se résout pas en choisissant entre deux qualités formelles différentes, mais en explorant pleinement cette crise, jusqu’à découvrir ses racines dans les mécanismes modifiés de production de la culture et dans la fin du rôle de la structure de service et non plus de la structure de « représentation » de la société, et le transfert de « l’identité urbaine » vers les nouveaux médias. En fin de compte, j’ai conclu en choisissant, entre ces deux qualités différentes mais fondamentalement similaires, le paradoxe de la « quantité » de l’Existenz Maximum, de la revendication planimétrique ; un paradoxe jusqu’à un certain point, puisque les plus grands sauts qualitatifs de la culture architecturale et urbaine ont toujours coïncidé avec de grandes révolutions quantitatives, avec le bouleversement de ces normes naturelles sur lesquelles la culture bourgeoise est toujours accroupie : le gratte-ciel et l’Unité d’habitation sont valables pour tous.

Il est tellement vrai que le conflit entre modernistes et néomonumentalistes compare deux thèses académiques, et que Zevi lui-même nous en fournit la preuve, lorsque dans le même éditorial, il dit avec une grande clameur : « … la tâche et le défi consistent à codifier un langage alternatif aux Beaux-Arts, un langage moderne basé sur la liste fonctionnelle, sur les dissonances, sur la tridimensionnalité anti-prospective, sur la décomposition quadrimensionnelle, sur la co-implication structurelle de chaque élément architectural, sur la temporalisation de l’espace et sur la réintégration bâti-ville-territoire, bref sur ce qui est scientifiquement déductible de l’expérience du passé, lointain et rentrant ». En d’autres termes : depuis la mort des Grands Pères, nous organisons leur héritage, nous systématisons leurs découvertes en matière de composition, nous les répertorions, nous les utilisons chaque fois que l’occasion se présente, et nous nous assurons ainsi de notre survie dans cette période incertaine… En fait, il me semble qu’entre cette position et celle d’Aldo Rossi, qui récupère une tradition plus lointaine et plus symétrique en lieu et place de la moderne, les différences sont plus apparentes que réelles. Tous deux voient dans la « fabrication de l’architecture » une sorte de trahison formelle et linguistique, et le conflit se termine par une confrontation entre une continuation progressive et une intolérance. Dans le désir disciplinaire actuel, chacun d’eux propose une proposition culturelle différente. Tous deux parlent de « refondation », mais en fait ils s’inscrivent dans le cadre d’un néo-éclectisme, qui par définition rejette toute refondation réelle de la culture, préférant faire tourner les langues et les citations, comme une respiration artificielle.

Une preuve en est fournie par le récent quartier Gallaratese à Milan (voir Casabella, n° 391), où l’on peut voir deux œuvres d’écoles différentes : Aldo Rossi et Carlo Aymonino. Aucune comparaison ne pourrait être plus évidente : « Le contrôle rigide de la composition de Rossi fait ressortir les composantes éclectiques d’Aymonino ».

En réalité, la comparaison se fait sur la base d’une simulation : l’un part devant Terragni et Muzio, l’autre répond en faisant son Le Corbusier japonais. Aucune des qualités réelles des Grands Pères mentionnés n’est respectée, tout un « héritage » est dilapidé dans la culture pure. L’un fait des vœux à Apollon, dieu de la beauté immobile et autofondée, l’autre fait des offrandes à l’esprit de Dionysos, dieu de l’ivresse et du devenir. (Et je vous épargnerai ici la sacralisation de l’épisode de l’occupation du quartier Gallaratese, qui reformule presque de manière allégorique le thème de Hengels sur l’intérêt des ouvriers pour la propension à la ville bourgeoise et non à sa forme, puisque les deux bâtiments ont été occupés sans choix culturel. Mais il serait trop facile de s’en remettre à ce jugement de l’histoire, car je n’ai guère de foi dans l’histoire).

C’est le monde de l’architecture qui continue à tourner, en nous proposant, après dix ans de silence, une polémique fictive à laquelle les protagonistes eux-mêmes ne croient même pas (puisque Rossi a présenté Aymonino dans son exposition Tendenza à la Triennale)

Le même monde abstrait que nous pensions avoir laissé derrière nous émerge d’un long et sombre tunnel, pour réapparaître en termes idéologiques que nous connaissons bien, l’habituelle fadeur compositionnelle.

Casabella, vol. xxviii, n° 395, novembre 1974, p. 10.


Notule par Nathalie Bruyère

Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de Casabella, du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 Radical Notes4. L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en français. C’est une attache théorique à la Révolution française qui place la bourgeoisie au pouvoir et organise, dans la production industrielle, la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » ( « Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972 ).


  1. L’architettura cronache e storia (Chroniques et histoire de l’architecture) est une revue mensuelle parue entre 1955 et 2005, fondée et dirigée par Bruno Zevi jusqu’à sa mort en 2000. Elle fut éditée successivement par Fabbri Editori, Poligrafico dello Stato et Canal Stamperia et Mancosu Editore. (NdT)↩︎

  2. Controspazio (Contre-espace) est créée en 1969 par Paolo Portheghesi avec Ezio Bonfanti et Massimo Scolari à sa tête. Elle se fait l’écho de la Tendenza et de GRAU (Gruppo Romano Architetti Urbanisti). Elle entretiendra une relation étroite avec la revue française Architecture Mouvement Continuité (AMC) entre 1974 et 1981. (NdT)↩︎

  3. Mouvement des étudiants. (NdT)↩︎

  4. Les titres des 27 chroniques des Radical Notes de Andrea Branzi sont listées dans la présentation de la Radical Notes n°1 « Stratégie du temps long ».↩︎