scrim

Introduction

ZNAK, archives réactivées

abstract

Cette introduction à la ligne « ZNAK. Les logotypes en Ukraine de 1910 à 2019. Des archives réactivées »., rend compte de l’approche documentaire adoptée par les designers de U.N.A collective pour mener à bien cette recherche. Cette dernière a le double objectif de contribuer à combler certaines lacunes de l'histoire des formes graphiques des marques locales pour compléter le cadre de référence des designers contemporains et d’explorer cette "archive" comme une base de travail pour des exercices et des interprétations formelles. Par ce biais, elles rendent compte de la possible réinterprétation et appropriation de cette masse documentaire, et de la signification et des conséquences concrètes de cette recherche sur leurs pratiques.

Il est aujourd’hui reconnu que les années 1960-1980 furent une période clé pour le design ukrainien, jusqu’à présent négligée. C’est dans ces années-là que se sont formées la profession et les disciplines dans le domaine qu’on appelle maintenant le design d’identité d’entreprise.

La recherche sur l’histoire des marques locales présente une multitude de défis : l’information est matériellement inconstante, son importance est sous-évaluée. La plupart des marques ont totalement disparu avec les entreprises soviétiques pour lesquelles elles avaient été créées lors de la dislocation de l’empire que constituait l’Union des républiques socialistes soviétiques. Aujourd’hui, nous ne pouvons en observer que les plus petites parties dans notre vie quotidienne ; occasionnellement repérées au marché aux puces ou découvertes dans un musée de la technologie. Les archives de la Chambre de commerce et d’industrie de l’Ukraine, qui a succédé à l’organisation soviétique et était en charge de toutes les marques créées à cette époque, ont également subi des dommages irréversibles avec l’effondrement de l’URSS. Avec ces épisodes de turbulences, au fil des années, les connaissances sur les processus se sont aussi perdues.

C’est donc avec une approche documentaire que nous espérons combler certaines lacunes de l’histoire des formes graphiques des marques locales pour compléter le cadre de référence des designers contemporains. Mais nous proposons aussi d’explorer cette « archive » comme une base de travail pour des exercices et des interprétations formelles. C’est aussi par ce biais, une réinterprétation possible et une appropriation informée, que nous avons abordé ce travail de recollement. Nous sommes donc intéressées, avant tout, par la signification et les conséquences concrètes sur nos pratiques de cette recherche : les méthodes cristallisées et les possibilités de travailler aujourd’hui avec des formes patrimoniales que nous sommes allées rechercher et documenter. Revenir à des auteurs et à des processus spécifiques du passé nous permet de tirer des enseignements sur des pratiques et des positions, de les remettre en question et de nous inspirer de leur expérience.

Bien qu’il y ait quelques exceptions, notamment parmi les projets de design d’artistes renommés du début du xxe siècle, l’« art industriel » qui occupait autrefois le devant de la scène a subi l’anonymisation de ses auteurs et par conséquent des formes d’invisibilité diverses. Pour cette raison, le travail dans ce domaine exige un effort particulier en matière de considération, de préservation et d’attribution. Les repères architecturaux ont tout autant été confrontés au vandalisme et à la négligence mais, durcis dans la pierre, ils restent irrévocablement présents dans notre environnement visuel. Les marques et leurs déclinaisons matérielles, elles, ont du mal à obtenir le même niveau d’attention que les architectures, remarquables ou vernaculaires, et il est même peu probable qu’elles soient présentes dans les musées aux côtés de la peinture de chevalet ! Pour nous, travailler sur cette archive à constituer fut en partie une question critique. Observations des insuffisances des archives de design actuellement disponibles, des insuffisances dans la conservation et la recherche en matière de design, et espoir pour leur amélioration – que la guerre bien évidemment est venue mettre en péril.

Les segments conceptuels de la recherche Znak. Les marques ukrainiennes 1960-80 sont composés à partir des ressources rassemblées et de notes introductives qui comblent en partie les lacunes de l’histoire tout en introduisant le design dans les contextes ukrainien, soviétique et mondial. La chercheuse en design Olha Hladun examine comment la création de logotypes évolue avec les différentes institutions spécialisées dans les arts et industrie qui virent successivement le jour à Kharkiv. Une introduction, sous forme d’exercice d’admiration, au travail et aux réflexions de l’éminent designer et pédagogue Volodymyr Pobiedin est proposée1. Ce dernier partage en effet ses idées sur le processus de création de marques graphiques à Kharkiv dans un rare ouvrage sur la question2. La designer et chercheuse Liia Bezsonova retrace brièvement les conditions et les particularités du travail des graphistes dans les institutions soviétiques – succursales de la Chambre de commerce et d’industrie à Kharkiv, Kiev et Odessa –, centres essentiels pour la création de marque3. Une autre notre présente des témoignages sur les processus de conception de graphistes ayant exercé dans les années 1960-1980 : leurs récits nous permettent d’explorer le quotidien de cette profession à l’époque. D’un autre lieu – un pays balte – et d’une autre époque – la nôtre –, le texte de Rokas Sutkaitis, designer et chercheur lituanien, présente un résumé sur les logos soviétiques et leur corrélation avec des projets similaires d’alors produits dans les pays capitalistes4.

Notre choix de matériel ne s’est pas limité à la période des années 1960-1980, ni à la géographie des marques graphiques, ni même aux seules sources commerciales ou institutionnelles. Puisqu’il s’agissait plutôt d’une tentative de retracer le développement de la forme graphique, son contexte et les transformations ultérieures, la recherche – et le livre (2019), qui est également le catalogue de l’exposition qui a permis la première diffusion de cette recherche à Kiev (20175) – présente aussi des pièces d’artistes ukrainiens d’avant-garde des années 1920, ainsi que des logos créés par les diplômés des écoles ukrainiennes dans les années 1990-2010, résidant hors de l’Ukraine.

Le rassemblement de ces logotypes n’est donc pas seulement chronologique, il suit également les similitudes et les différences dans les approches formelles qui ont parfois été utilisées pendant des décennies, ainsi que certaines évolutions, ultérieures aux bornes temporelles de la recherche. Cette collection de ressources forme aussi une sorte de catalogue des techniques. Nous avons voulu restituer pour partie cette démarche documentaire : en présentant délibérément les archives en l’état, nous préservons autant les qualités d’impression particulières des catalogues soviétiques que les numérisations désinvoltes qui eurent lieu à différentes époques mais qui sont aujourd’hui les seules traces d’une grande partie des œuvres. Nous mettons ainsi l’accent sur la « vie » des logotypes, non seulement dans le domaine de l’édition mais avec aussi leur présence sur d’autres types de supports matériels, des objets-souvenirs aux avions.

Mais il se dégage également dans ce recollement un récit visuel qui nous apparaît comme plutôt éloquent et autonome. Les matériaux présentés dans cette collection de ressources sont donc parfois universels, parfois radicaux, mais souvent bizarres et uniques dans leurs expressions singulières et c’est ici que prend place la seconde partie de l’opération, où en choisissant les projets originaux faits à la main et leur réappropriation dans le cadre d’exercices et d’intervention dans l’espace, à l’origine de cette recherche, nous revendiquons également notre statut de praticiennes. L’entretien conduit par le professeur David Crowley, la spécialiste du design graphique Véronique Marrier et l’assistante de recherche Katya Hudson, éclaire très spécifiquement notre approche6. L’éditorialisation de cette recherche pour Problemata montre également cette étape, à la fois méthodologique et culturelle. La transformation et l’appropriation sont deux des motifs qui transcendent la simple reproduction car elles doivent montrer une compréhension des enjeux. C’est avec la recherche historique que nous avons pu les approcher.

Crédits

  • Chercheurs : Uliana Bychenkova, Nika Kudinova, Aliona Solomadina (U,N,A Collective, designers graphiques, chercheures indépendantes) ; Katya Hudson (Kingston University), assistante de recherche
  • Auteurs : Liia Bezsnova (Union des designers d’Ukraine) ; Olha Hladun (Musée régional d’art de Tcherkassy) ; Rokas Sutkaitis (chercheur indépendant) ; David Crowley (National College of Art and Design Dublin) ; Véronique Marrier (Centre national d’art contemporain)
  • Coordination de la ligne : Marie Lejault (ingénieur de recherche Problemata) et Catherine Geel (Ensad Nancy – CRD / Ens Paris-Saclay)

Cette ligne a bénéficié du soutien spécial de l’Ensad-Nancy.


  1. Voir U,N,A Collective. « 1918–2006 Vоlоdymyr Oleksiiovych Pobiedin. Designer, Professor, Innovator. An Exercice in Admiration ».↩︎

  2. Volodymyr POBIEDIN. Знаки в графическом Дизайне [Marks in graphic design]. Kharkiv : Ranok, 2001.↩︎

  3. Voir Liia BEZSONOVA. « Chambres de commerce et d’industrie, VNIITE, laboratoires spécialisés et combinats publicitaires : la conception graphique des marques par les organismes d’état en Ukraine soviétique », et « La conception de marque à l’ère pré-numérique ».↩︎

  4. Voir Rokas SUTKAITIS. « Studying the world experience: the westernisation of Soviet logos (1960s–1980s) »↩︎

  5. Exposition ZNAK à la Petite Galerie du Musée de l’Arsenal, Kiev. Commissariat : U,N,A Collective (17 octobre – 10 novembre 2017).↩︎

  6. Voir Entretien.↩︎