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La conception des marques à l’ère pré-numérique

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En décryptant les processus utilisés par les designers sous le régime soviétique, Liya Bezsonova rend compte des outils, méthodes et modes de conception des logotypes à l’ère pré-numérique.

L’ordinateur reste un outil inconnu au moins jusqu’au début des années 1990 Fig. 1. La création de logotypes se fait manuellement, souvent avec des moyens optiques et photographiques Fig. 2. Le travail commence avec une ébauche qui rend l’idée graphique. À ce stade, l’artiste n’a besoin que d’un matériel de base : papier et crayon, encre et pinceau. La recherche de solutions plastiques (образно-пластичного) et sur la composition de l’image porte non seulement sur l’élément dessiné, mais aussi sur le lettrage, le cas échéant Fig. 3.

Généralement, la future méthode de production du projet (impression, moulage, etc.) est prise en compte dès le stade de la conception. Les logotypes figurent essentiellement sur les étiquettes, les emballages, les enseignes, et parfois en relief sur les produits eux-mêmes (téléviseurs, récepteurs radio, véhicules de transport et autres objets). Les étiquettes sont le plus souvent imprimées en polychromie, chaque couleur étant imprimée séparément – n’offrant pas une grande qualité d’impression. Les graphistes essayent d’éviter les solutions compliquées en termes de couleurs, entre autres pour limiter les possibles défauts de reproduction imprimée Fig. 4. Chaque élément graphique d’une marque doit être un aplat avec un contour net. Les signes d’une seule couleur sont les plus universels et les plus susceptibles d’être traduits en relief. Parfois, cependant, il est indispensable d’utiliser deux ou trois couleurs dans une seule marque. Dans ce cas, le graphiste doit éviter que les éléments de couleurs différentes ne se touchent, car l’impression en polychromie ne garantit pas l’exacte coïncidence des formes. Dans la plupart des cas, l’un des éléments est séparé du reste et accentué par la couleur Fig. 5.

On élabore alors l’ébauche en grand, en éliminant la structure géométrique et la combinaison plastique des courbes, la version définitive étant dessinée dans tous ses détails. Par la suite, les traits sont reportés sur papier calque à la craie noire ou au crayon gras. Le dessin original est exécuté sur papier épais, généralement une feuille de Whatman de très bonne qualité, étendue sur une planchette afin d’éviter qu’elle soit gondolée par l’eau, puisqu’on travaille avec une peinture à l’eau. Le calque est fixé sur les côtés de la planche au moyen d’une colle au caoutchouc ou d’une bande adhésive. L’image graphique doit alors être recopiée sur la feuille de Whatman avec un crayon dur. Certains graphistes produisent et emploient un papier à report réutilisable avec une épaisse couche de craie noire d’un côté : il est placé sous le dessin original réalisé sur papier calque. On presse le dessin contre la feuille et on le recopie à travers les deux épaisseurs de papier. Le plus souvent, le projet définitif est réalisé à la gouache noire avec un peu d’encre pour donner plus de profondeur à la couleur, et un peu de colle PVA pour mieux fixer l’agent colorant. On mélange soigneusement le colorant et on le dilue à l’eau pour parvenir à la consistance désirée, qui permet d’utiliser un tire-ligne ou un stylo à plume fine. Ces outils, avec une règle à rebord qui évite à la peinture de s’étaler et une équerre, permettent d’obtenir une grande précision dans le tracé des contours de la marque. On utilise un tire-ligne chargé de peinture pour les courbes. À l’intérieur de ce contour, il faut remplir la marque d’une couleur homogène à l’aide d’un pinceau. Une fois la peinture sèche, les traces de craie noire sont effacées avec une gomme souple. Au moment de la finalisation, les petits défauts sont corrigés à la gouache blanche. Les bons graphistes maîtrisent aussi la technique consistant à gratter horizontalement la couche supérieure du papier Whatman avec une lame de rasoir ordinaire, ce qui rend les corrections pratiquement invisibles.

Lorsque le logo comporte des lettres, qui requièrent un soin attentif, il faut parfois employer des techniques particulières. L’une des possibilités consiste à ébaucher les lettres à la main, en harmonisant et vérifiant soigneusement les espaces entre elles. Les stylos à plume fine et les pinceaux sont les instruments utilisés lorsque le projet comporte une calligraphie. Beaucoup de graphistes emploient des outils qu’ils ont eux-mêmes mis au point et fabriqués : roseaux taillés ou plumes d’oiseaux, ainsi que plumes à dessiner faites à partir de lames de rasoir.

Parfois on réalise le lettrage par tirage et montage photographique. Pour cela, il faut se procurer une image de qualité de la police souhaitée, faire des photographies les plus nettes possibles (la pellicule technique comme la Mikrat en bobine ou la FT en planche est rare et chère), et tirer une image très contrastée de taille appropriée, sur papier photographique. Ensuite, il faut découper la combinaison de lettres souhaitée, les coller une à une dans un ordre donné, en tenant compte du rythme du lettrage et de l’équilibre dans sa perception optique. On utilise généralement pour ce faire une colle au caoutchouc, qui permet de déplacer les lettres pendant un temps avant qu’elles ne sèchent, ou de les décoller et de les replacer ensuite sans les endommager. Une fois finalisé le placement des lettres, l’étape suivante consiste en retouches : toutes les lignes du collage sont blanchies. Parfois le lettrage est de nouveau photographié et tiré dans le format souhaité, et la photo découpée du lettrage est alors mise en place.

La marque originale sur le papier Whatman1, corrigée et finalisée, est soigneusement découpée le long du bord de la planchette. Pour mieux la conserver et pour plus de commodité, on la colle sur un carton épais et on la recouvre d’une feuille de papier calque de la même taille pour la protéger de la poussière.

La maquette définitive est alors envoyée au client, tandis que l’auteur du projet garde au mieux une copie pour lui-même. Il ne lui reste en fait souvent que les ébauches et le calque du projet, parfois en raison de la précipitation, mais souvent par simple négligence de sa part, car à cette époque l’art graphique est sous-estimé et considéré comme secondaire par rapport au dessin d’art.



  1. Whatman: Papier de qualité supérieure, grené, fort et rigide, blanc sans texture prononcée, sans vergeures, assez proche du papier hollandais. Un filigrane permet de l’authentifier. Utilisé pour dessiner avec un stylo plume ou pour l’aquarelle, il se distingue par sa résistance et sa capacité à résister aux dommages causés par le frottement. On l’utilise pour le tirage des épreuves d’estampes ou dans les laboratoires scientifiques. (NdE)↩︎