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Approche biographique de l’objet automobile

abstract

The introduction to the “Autocritique: a biography of the automobile object” line sets out the research themes: speed and acceleration, discourse on progress, the virilist figure of the driver, the world of the worker caught up in the production calculation, and the legalities of automotive bodies and forms. It takes a critical look at the global, economic and political environment shaped by this technical object, and offers a general analysis of the relations of domination induced by the automotive system embodied in the car, its forms, myths, narratives, history and contemporary deployments. As an eminently social and political object, an object-system, the car cannot be reduced to the fictional object and immense object of desire that it represents. It is also an opaque and ambiguous object, and by its very nature as a concept, the car is linked to foresight, and design, as an undisciplined offshoot of modernity, must be able to build criticism and organise controversy in order to evaluate future scenarios.

L’automobile est un objet omniprésent de notre environnement matériel : il existe très peu de situations dans nos vies quotidiennes où on ne voit pas de voiture. À l’arrêt 95 % du temps1, elles envahissent les rues et le paysage, c’est même le seul objet privé qui occupe autant l’espace public. Cet objet, dans lequel on rentre avec son corps et ses habitudes, nécessite un grand nombre d’espaces spécifiques d’existence, des espaces communs qu’il réglemente et organise2. Cet objet est absolument surprenant du point de vue de l’anthropologie et du design, pour qui souhaite s’interroger sur la société technicienne et industrielle.

Objet social, objet politique

Le 31 décembre 2018, 112 automobiles sont incendiées à Paris. Munies d’un réservoir d’essence et composées pour plus de 20 % de plastique, pour un poids moyen d’1,2 tonne3, les voitures sont de façon évidente des combustibles remarquables. Composites, riches de produits pétroliers, mais aussi de minéraux, d’eau, de cuir animal et de caoutchouc… elles appartiennent au sous-sol de la planète4 autant qu’aux conducteurs plus ou moins assurés, mais aussi aux incendiaires qui, en un instant, y trouvent un moyen très spectaculaire de mettre en scène une émeute. La préfecture débarrassera dès la nouvelle année les carcasses fondues, dont un épaviste et des assureurs questionneront quelques semaines encore le statut, jusqu’au broyage.

L’objet individuel est redevenu collectif le temps d’une étincelle, d’une épiphanie.

Chaque automobile non roulante est une ressource, une cartographie, un assemblageFig. 1. Il serait nécessaire dès maintenant de partir de l’objet automobile, de le regarder comme un composite de matières et une addition d’objets divers. C’est un objet mondial, un objet politique, piochant dans les ressources planétaires, organisant les sociétés, les espaces, les économies, transformant les sociétés à chaque phase de sa croissance, de son existence.

Tandis que le désir de mobilité des individus ne cesse de croître, de toutes parts émergent des aspirations profondes à changer nos façons de consommer, nos rapports aux ressources et nos inscriptions politiques et sociales. Comment alors concilier une culture de la mobilité, profondément ancrée, avec de nouvelles aspirations existentielles ? Comment l’objet automobile devient-il un objet ramifié, témoin de nos désirs et de nos difficultés à bifurquer ? Comment les individus et leurs institutions s’emparent-ils de cette situation politiquement5 ? Et enfin, à quel débat de société cela pourrait-il nous renvoyer ?

Devant nous se déploient plusieurs scenarii, plusieurs bifurcations possibles. Chacun d’eux a un impact immense sur les ressources planétaires et sur la vie sociale. Entre le véhicule économe et le véhicule autonome, entre la fin radicale du véhicule personnel et les multiples formes de mobilité collective nouvelles, des choix radicaux s’imposent. La mise à jour des connaissances est consubstantielle d’un débat ouvert mais, hélas, inexistant pour aboutir à une décision collective. Cette démocratie technique absente est symptomatique d’un déficit démocratique plus large dont la crise des gilets jaunes en 2018 ou le passage en force de la réforme des retraites en 2023 sont les incarnations concrètes6.

Le niveau de mobilité rendu possible par l’automobile relève de choix politiques. Ils sont pour le moment réglés par des injonctions au progrès, à la croissance et à la fluidité. L’automobile, qui absorbe les dernières innovations technologiques et en génère elle-même, contribue à la richesse d’une partie de l’humanité tout en appauvrissant l’autre. Elle participe au développement d’un modèle idéologique mondialisé, mêlant lifestyle et croissance. Elle fluidifie certains échanges considérés comme essentiels en les accélérant, tandis qu’elle ralentit le reste de la société7.

Objet économique, objet système

Chaque automobile au travail est une unité de production. Le produit cumulé de toutes ces unités : un hyperobjet8 de matières, de formes, de microparticules… Des vents contraires dispersent ces dernières. Nous vivons dans ces productions, elles nous englobent, elles nous pénètrent, particules de carbone dans nos cheveux, dans nos veines. Nous faisons corps non pas avec sa carrosserie ou avec sa personnalité, mais avec ses scories, comme Tetsuo9. Il nous reste à lire des magazines de déchets automobiles, à comparer le noir des nuages de dioxyde, à collectionner des tonnes de bougies usagées, à aller au Salon de Genève10 des tôles froissées, à ralentir terriblement pour déplier cet objet monde.

Cet objet-système se retrouve, par morceaux, sur la table à dessin des designers : aujourd’hui, on ne devrait plus concevoir comme il y a trente ans une auto dans des studios de design intégré d’entreprises, sur des plateaux, au secret, où le projet naissait en présence d’une équipe experte. On devrait penser désormais la voiture globalement ramifiée, et surtout pas isolée11.

Chaque automobile roulante est un objet économique puissant, dont on ne cesse de découvrir l’emprise. Les ouvriers à la chaîne l’ont d’abord découvert à leur insu au début du xxe siècle : les inventions de Frederik Taylor12 et les promesses de Henry Ford13 produisirent, dans les classes populaires, une amélioration sensible des conditions matérielles de vie et beaucoup de désarroiFig. 2aFig. 2bFig. 2cFig. 2dFig. 2eFig. 2fFig. 2g. Ce dernier fut transformé en luttes politiques créatives au cœur de l’industrie automobile : elles produisirent le syndicalisme moderne tel que le relate Nanni Balestrini14 « à la » Fiat et des descriptions exemplaires des conséquences tragiques des conditions du travail sur les individus comme en témoigne, à la fin des années 1970, Robert Linhart dans L’Établi15.

Les luttes politiques dans ce secteur inquiètent l’État qui y réagit violemment et idéologiquement, car l’industrie automobile est stratégique : objet système, l’automobile produit au xxe siècle des revenus exponentiels, entraînant avec son développement les marchés de production de matières premières et l’industrie pétrolière qui trouvent là leurs débouchés immédiats. Mais l’automobile entraîne aussi la réalisation d’infrastructures de BTP : les routes facilitent la consommation de masse, ses millions d’emplois et les promesses de croissance qui y sont attachées : autant de marchés qui constituent les piliers de l’économie moderne.

Le nombre de constructeurs automobiles présents dans un pays influence les orientations des politiques publiques de la qualité de l’air et des infrastructures. Ce fut le cas en France, en 1983 par exemple, avec le choix de mettre en avant les motorisations diesel après avoir enterré le rapport Roussel sur les productions de microparticules cancérigène par ce même carburant16. Aux USA, dans tous les gouvernements, on trouve au cœur du pouvoir institutionnel un ou des représentants des lobbies des énergies fossiles17 facilitant les intérêts du secteur.

Les capacités d’influence de l’industrie automobile sont décuplées sous l’effet de sa financiarisation à partir des années 1990. Les marques se sont regroupées en holdings internationales pour créer des géants sur les bourses mondiales18. Vue du côté du marché aujourd’hui, c’est un ensemble sectoriel comprenant les marques génériques, les sous-traitants, les pétroliers, les marques low cost ou premium, les marges que dégagent l’économie de la pièce détachée ou le marché de l’occasion intégré aux groupes, voire même les magazines auto affiliés aux mêmes groupes. Tous garantissent ensemble la croissance extraordinaire des revenus de ce secteur. En 2020, quand quelques-uns roulent en Renault Zoé électrique en leasing, ils roulent dans une voiture dont la rentabilité est assurée parce que d’autres, bien plus nombreux, achètent des Dacia, que leurs usages produisent un niveau élevé d’usure – et proportionnellement plus d’accidents – qui garantissent la rentabilité de la pièce de rechange. Au niveau mondial, la part de dépense des ménages consacrée à l’auto ne cesse d’augmenter.

On peut ajouter aujourd’hui les développements de l’électromobilité, du véhicule autonome et du design de service (identifié parfois sous l’appellation de « dernier km intelligent »). Tesla et les autres constructeurs électriques – une trentaine de marques chinoises sont apparues en moins de vingt ans19 –, proposent un objet dont le coût réel est caché : en utilisant les leviers de financement de la tech, Tesla est un groupe qui assure aussi bien la production de véhicules électriques que de systèmes de stockage d’énergies stationnaires et d’énergie solaire. La vente presque à perte de ses propres voitures20 est le résultat d’une spéculation de l’entreprise et de ses actionnaires sur une position hégémonique en devenir sur le marché de l’énergie et de l’électromobilité aux USA et en Europe. Ce fait rappelle en quoi l’automobile incarne, depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui encore, le système économique néolibéral et ses dernières techniques de récits et de capitalisation.

Objet colonisateur, objet de domination

Si le véhicule autonome a été durant moins de dix ans21 l’espoir d’un développement technologique prometteur pour finalement être progressivement relégué à une existence future indéfinie, il a réactivé un des fondements du développement automobile : la voiture est à l’origine un outil de préemption de territoires et le véhicule autonome est avant tout une nouvelle capacité de captation de l’espace.

Une généalogie rapide nous rappelle à quel point l’automobile fut, dès le début de son existence, un objet de prédation de l’espace et, son corollaire, un objet de domination de classe. Dès le début du xxe siècle, l’automobile est un loisir de la haute société qui perturbe la vie urbaine et rurale : les piétons en sont les premières victimes22, écrasés en nombre par des bolides qui commencent à sillonner les chemins de terre. Il s’agira dès lors de discipliner le piéton, tâche des premiers lobbies de l’automobile comme l’Automobile Club de France. Après avoir asséché les oppositions radicales des années 1890 à 192023, la route devient l’espace de l’automobile reine. Une lutte des classes sans merci. Les lobbies de l’automobile poursuivent au-delà des frontières leur objectif idéologique de développement et d’enrichissement.

En 1924, la croisière noire de Citroën24 consiste à envoyer une caravane scientifique constituée de véhicules de la marque, de pilotes et de chercheurs, au travers du continent africain, traçant ainsi une sorte de route des ressources et des richesses du territoire. Cet acte de colonisation médiatique utilise l’automobile comme un passe-droit de domination technologique, pour atteindre et spolier des ressources, au service de l’expansion de la France. En 2024, le véhicule autonome est lui aussi un concept de prédation. Il combine d’une part le besoin de grandes quantités de matériaux rares dont l’exploitation nécessite des infrastructures de prédation néocoloniales comme ce qui déstabilise actuellement la République démocratique du Congo25, et d’autre part, la captation de données dont il préempte gratuitement les richesses (données prélevées sans contrepartie par ses systèmes de capteurs sur l’environnement et les usagers).

La conquête de l’espace public reste la condition existentielle profonde de l’automobile, cette liberté se fait au détriment d’autres mobilités, en particulier celles qui sont utilisées par les catégories sociales les plus précaires (comme la marche, la traction animale, le transport en commun). Même si elle se démocratise en étant utilisée par des catégories plus larges de population, la ségrégation entre genres, classes et races reste prégnante : aux USA, le risque de mourir lors d’un contrôle routier est accru pour les Afro-américains26. Les conductrices restent minoritaires au niveau mondial ainsi que les femmes conceptrices de voiture, ce qui explique aussi cet objet conçu prioritairement par et pour l’homme blancFig. 3.

Objet fictionnel, objet de désir

Une automobile roulant seule dans une nature idéalisée au coucher du soleil, un conducteur blanc, aisé, la quarantaine, une femme-objet et un lifestyle épuré : cette vision publicitaire sculpte tous les imaginaires du mythe automobile.

Traverser cette nature immaculée grâce à cette voiture-outil saillante : un design du coefficient de pénétration de l’air pour une voiture-tranchoir qui sépare le monde en deux catégories : ceux qui ont les capacités de piloter « dans » cette image fictive du monde et les autres, ceux qui sont hors cadre. L’économie fictionnelle de l’automobile est une répétition du mantra de la vitesse et de la pénétration.

Cette prosopopée pauvre en apparence se double d’une mécanique lyrique invisibilisée. D’un côté, la conception déléguée vers un design de la composition, de l’assemblage, de la mécanique, au service duquel la sous-traitance prend en charge les optiques, les tableaux de bord, les sièges, les accessoires. À partir de cette grammaire et ce vocabulaire, l’industrie automobile construit son autofiction qu’elle adresse aux initiés, aux « fans de caisses », aux « bagnoleux », et dont on apprend du côté des non-initiés, à force de propagande publicitaire généralisée27, à en accepter puis en consommer l’alchimie technique et formelle. De l’autre côté, le marketing aux petits soins des désirs les plus contemporains des propriétaires – amateurs, commerçants et usagers – joue de la plasticité de l’objet : une voiture moderne s’accessoirise à loisir, peut se tuner, se partager en co-voiturage, se louer, décapotable à la belle saison, ou se mouvoir sur quatre roues motrices en hiver, et désormais, à la trentaine passée, se rétrofiter28. Ces fictions sont des romances adressées à l’individu sans le groupe : les vendeurs d’automobiles parlent en priorité au pilote. Cette réduction à un acteur cible est à la base de l’idéologie automobile dénoncée il y a plus de cinquante ans par Bernard Charbonneau29 ou André Gorz30. Aujourd’hui, l’ultime fiction qui englobe tout l’imaginaire automobile est celle de vivre suréquipé, seul au monde31. Cette idéologie, ensemencée par les imaginaires catastrophistes et survivalistes, puis fécondée par des approches solutionnistes proposées par le design et l’ingénierie – et plus largement les thuriféraires de l’innovation, se trouve bien loin de la sobriété dont nous aurions besoin.

L’automobile est encore un objet de désir. Les codes du désir évoqués au lendemain de la Seconde Guerre mondiale où la construction de la voiture est ce volume désiré, féminin, aux courbes attrayantes qui domine largement dans la mystique du pilote-centaure possédant ce corps. Aujourd’hui, l’objet automobile qui se codifie désormais en dragon, en félin ou en animal fantastique, garde une dimension désirable et son imaginaire se situe dans sa capacité de modelage des espaces technologiques, des environnements urbains sous influence de ses capteurs, dans ses capacités à tracer des rapports de forces sur la captation des ressources32. En dessinant des espaces géopolitiques, en projetant des individus filmant avec leur dashcam l’infini des rubans bitumeux, elle parcourt un monde sans début et sans fin.

La perception du monde à travers une vitre rectangulaire qui cadre le paysage en mouvement traduit en panorama la fusion entre cinémascope et cartographie des traverséesFig. 4. Learning from Las Vegas33 utilisait ce procédé pour traduire la ville faite de signes, le road-movie a lui aussi amalgamé la caméra et la vitre. Comme objet fictionnel, la voiture transforme tout ce qu’elle traverse en autant de récits qu’elle met en mouvement. Le conducteur réalise tandis que les passagers sont à la place des spectateurs.

Au-delà de ce cadrage en mouvement, le travelling, l’automobile poursuit son programme comme objet de transformation. Elle fonctionne comme une machine célibataire, une machine de diffusion des matières, des environnements et des désirs. Elle sculpte le paysage avec ses roues en dessinant des ornières, des routes en boucles infinies, des parkings en trames, des pavillons avec garage à perte de vue, des champs de pétrole, des mines de cobalt, de cuivre et de lithium…

La ligne

Cette ligne de recherche propose un état de l’art à partir de l’exposition-documentaire AUTOFICTION, une biographie de l’objet automobile34 présentée en 2022 à la 12e Biennale Internationale Design Saint-Étienne Fig. 5. Il s’agissait de rappeler en quoi la fiction est le moteur esthétique de l’automobile, comment elle transcende le design de carrosserie, habille l’automobile contemporaine ou célèbre l’objet-spectacle de la doxa politique dominante, alors qu’à l’heure des crises sociales et écologiques majeures, nous devrions engager des bifurcations profondes.

Cette recherche a permis la mise en place d’un corpus de textes et d’images qui tente de retracer à travers des documents, récents et anciens, ce qui se dit sur l’objet automobile, ce qui influence – ou pourrait influencer – le design dans sa réflexion, sous la forme d’une biographie générale de l’objet automobile.

Deux dimensions programmatiques s’en dégagent.

L’une est la sous-forme d’une historiographie critique : c’est une lecture composite et singulière de l’objet d’étude à partir de textes et de documents historiques, scientifiques, artistiques. Les assemblages proposés par le directeur scientifique et les chercheurs permettent alors de dégager des entrées remarquables sur le corpus : des thèmes qui s’articulent les uns aux autres et brossent un portrait de l’automobile ancré dans l’histoire des oppositions critiques et des luttes :

  • apparition de la mobilité individuelle et statut du conducteur-propriétaire ;
  • vitesse et accélération en résonance avec le discours sur le progrès et figure viriliste du pilote-centaure ;
  • lutte des classes sur la route et dans l’usine ;
  • monde ouvrier pris dans la chaîne de production, intégré aux coûts marginaux de l’automobile35 ;
  • sécurités et légalités appliquées aux corps et aux formes automobiles ;
  • intelligence artificielle et mémoire numérique du véhicule autonome et du véhicule connecté comme avenir technologique ;
  • critique radicale de l’objet automobile au nom d’un humanisme bradé par la puissance de transformation sociale par cet objet même…

L’autre dimension se réfère directement au processus design à partir de ces moments spécifiques de travail de synthèse, de composition et de dessin qui jouent un rôle essentiel :

  • pour évaluer les scenarii futurs – l’automobile est par sa nature de conception attachée à la prospective ;
  • pour mettre en œuvre des prototypages – à l’image du concept car mais aussi du tuning ;
  • pour accompagner l’expérimentation propre au design – aventuriers technologiques et autres « déconstructeurs » de l’objet automobile.

Ce sous-groupe de documents sera composé essentiellement d’ensembles documentaires et de projets expérimentaux, rassemblés sous les entrées suivantes : modifications de l’intégrité des véhicules, entrée dans les méandres techniques des véhicules, dans les entrailles des véhicules, fabrication bricolage et modification, démocratie technique, réemploi, réduction, retrofit, hybridation, slow, métabolisme, partage…

Conclusion : de l’autofiction à l’autocritique

Alors que le désir de mobilité des individus ne cesse de croître, le nombre d’automobiles sur la Terre a dépassé 1,2 milliard en 202036. Notre objet mondial, objet technique parmi les plus répandus sur terre, est un objet-système à l’impact colossal sur les sociétés, sur le climat et la nature.

Le design, comme rejeton indiscipliné de la modernité, doit pouvoir en construire la critique, organiser la controverse et, in fine, tenter de la repenser. La proposition de mettre sur la table une sélection de documents nécessaires à ce débat, à travers la plateforme Problemata, mais aussi des fanzines de vulgarisation37 et des expositions, en passant de l’autofiction à l’autocritique, a pour but, à partir d’un objet emblématique comme la voiture, d’organiser les éléments nécessaires à la construction d’un débat dans la perspective d’une démocratie technique.


Crédits

  • Directeur de la ligne : Olivier Peyricot (Cité du design)

  • Équipe de recherche au sein de la Cité du Design Saint-Étienne : Lola Carrel, Anne Chaniolleau, Victoria Calligaro, Marine Fulchiron-Lecointe

  • Auteur·e·s : Nanni Balestrini, Bernard Charbonneau, Maya Indira Ganesh (Cambridge University), André Gorz, Sylvie Grenet (Les Passeurs du Patrimoine Culturel Vivant), Ivan Illich, Pascal Liévaux (ministère de la Culture, École de Chaillot), Robert Linhart, S. Lochlann Jain (Standford University, King’s College of London), Filippo Tommaso Marinetti, Shannon Mattern (University of Pennsylvania), Ernesto Oroza (Esad Saint-Étienne), Olivier Peyricot (Cité du design), Jeffrey Schnapp (Harvard University), Sarah A. Seo (Columbia Law School).

  • Relectrice : Stéphanie Geel

  • Équipe éditoriale Problemata : Justin Arnould (Ensad Nancy, assistant de publication), Catherine Geel (Ensad Nancy – CRD / Ens Paris-Saclay), Juliette Halais (Ens Paris-Saclay, assistante de recherche), Marie Lejault (Problemata, ingénieur de recherche).

  • Nos remerciements à Camille Ayme, Laurent Fétis, Virginie Linhart, la Revue Le Sauvage et Jean-Noël Montagné.

Bibliographie

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#1 Autocritique – vitesse, statut, lutte des classes ;

#2 Yana – légal, dessin, corps ;

#3 Pick-up – ressources, énergie, production ;

#4 Autoproduction – industrie, production en série, bricolage ;

#5 Capta – captation, automatisation, cinéma, umwelt ;

#6 Rétrofit Démocartis – documenter, démonter, reconditionner ;

#7 Composite – assembler, disposer, la vie en défilé.

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  1. Dans les grandes agglomérations françaises, les voitures sont immobiles 95 % du temps. Ce chiffre assez incroyable provient des enquêtes ménages-déplacements (EMD) réalisées par le Certu (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques) en 2013.↩︎

  2. Mathieu FLONNEAU. « Paris au cœur de la révolution des usages de l’automobile 1884-1908 », Histoire, économie & société, février 2007, p. 61-74.↩︎

  3. Source : Ademe. https://carlabelling.ademe.fr/chiffrescles/r/evolutionMasseMoyenne, consulté en juin 2023.↩︎

  4. Ou plus précisément à la zone critique dans laquelle l’ensemble de l’humanité vit, constituée de l’atmosphère et du sous-sol exploitable (pour une définition critique, voir l’exposition de Bruno Latour Critical Zones: Observatories for Earthly Politics, ZKM, Karlsruhe, 24 juillet 2020).↩︎

  5. « Ce n’est pas moins de politique qu’il faut à l’automobilisme, mais plus. » In Yoann DEMOLI & Pierre LANNOY. « Le grand écart de l’automobilisme contemporain : un incontournable terrain sociopolitique », AOC [Analyse Opinion Critique], le 8 mars 2019. En ligne : <https://aoc.media/analyse/2019/03/08/grand-ecart-de-lautomobilisme-contemporain-incontournable-terrain-sociopolitique>.↩︎

  6. Voir, entre autres, « Des risques d’atteintes aux droits et libertés qui fragilisent la démocratie », Défenseur des droits, République française, le 14 avril 2023. En ligne : <https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/a-la-une/2023/04/des-risques-datteintes-aux-droits-et-libertes-qui-fragilisent-la-democratie>.↩︎

  7. Ivan ILLICH. Énergie et équité, chapitre 5, 1re édition en français, Le Monde puis Paris : Le Seuil, 1973. Voir aussi sur Problemata « Énergie, abondance, technocratie : l’iniquité des seuils ». En ligne : <http://www.problemata.org/fr/articles/2640>.↩︎

  8. Timothy MORTON. Hyperobjets – Philosophie et écologie après la fin du monde [2013]. Saint-Étienne : Cité du design, 2018.↩︎

  9. Tetsuo, personnage du film japonais éponyme de Shin’ya Tsukamoto, 1989.↩︎

  10. Geneva International Motor Show, un des cinq plus gros salons automobiles mondiaux avec plus de 700 000 visiteurs en 2005. Le Temps, le 18 mars 2019. En ligne : <https://www.letemps.ch/economie/salon-lauto-accuse-une-baisse-frequentation>.↩︎

  11. Renault, par exemple, a ouvert ses studios de conception à la visibilité du visiteur, installant des couloirs vitrés sur les espaces de prototypage et de maquettage, évolution sensible qui a eu lieu dans la poursuite d’une politique de réforme déclenchée en septembre 2007 après une vague de suicides sur le site de Guyancourt. Visite effectuée par l’auteur en juin 2016.↩︎

  12. « En ce qui concerne l’évolution du travail industriel, on peut dire que Taylor annonce explicitement le “travail en miettes”. Celui-ci ne requiert plus de l’ouvrier ni initiative, ni intérêt pour ce qu’il fait. Le travail d’un O.S., qui répète plusieurs milliers de fois par jour la même opération, n’est plus une activité productrice dans laquelle l’ouvrier pouvait « s’accomplir » et « se reconnaître », mais assume un caractère d’usure biologique pour celui qui y est commis. Le travail ne présente plus aucun attrait, il devient générique, abstrait, indifférencié. Le travail n’est plus alors que présence obligée, subie, dans un système qui lui dicte sa place, sa fonction, et auquel l’ouvrier offre sa force musculaire et nerveuse. » In Martin ANDLER (collectif Matériaux pour l’intervention). « Taylor et l’organisation scientifique du travail : technologie et contrôle », série de brochures La Stratégie du refus, 1973. <https://www.multitudes.net/keynes-et-la-remise-a-jour-de-l/>↩︎

  13. La Ford modèle T, née en 1908, voit son prix baisser de plus de 50 % en six ans, au fur et à mesure que la cadence de sa fabrication augmente. Au début, quinze hommes mettent douze heures à fabriquer une voiture, mais, dès 1914, il suffit de neuf ouvriers et d’une heure et demie.↩︎

  14. Nanni BALESTRINI. Nous voulons tout. Paris : Entremonde, 2012. Voir aussi sur Problemata « Usine et mouvements sociaux chez Fiat ». En ligne : <http://www.problemata.org/fr/articles/2693>.↩︎

  15. Robert LINHART. L’Établi. Paris : Minuit, 1978. Voir aussi sur Problemata « Le premier jour sur l’établi ». En ligne : <http://www.problemata.org/fr/articles/2695>↩︎

  16. Jacques Calvet, président du groupe PSA, tête du lobby des constructeurs automobiles, imposa la motorisation diesel en France après avoir demandé au gouvernement Pierre Mauroy d’enterrer en 1983 le rapport Roussel intitulé « Impact médical des pollutions d’origine automobile ». Voir l’article de Fabrice NICOLINO. « Jacques Calvet, le diesel c’est la France », Charlie Hebdo, n° 1373, 14 novembre 2018.↩︎

  17. Comme par exemple Rex Tillerson (né en 1952), président d’Exxon Mobile de 2006 à 2016, qui devient secrétaire d’État sous le gouvernement Donald Trump. Il est chargé du département des Affaires étrangères.↩︎

  18. Par exemple, le groupe Renault-Nissan est créé en 1999, le groupe Stellantis en 2021.↩︎

  19. À l’instar de Qoros, Wuling, Young Man, Exeed, Nio, Jetour, Xpeng, Zeekr, Geometry, etc. En ligne : <https://marque-voiture.com/marque-voiture-chinoise/>.↩︎

  20. Elon Musk, à propos de la vente avoisinant le « zéro profit » de ses propres automobiles : « Il vaut mieux livrer un grand nombre de voitures avec une marge plus faible et récolter cette marge à l’avenir, lorsque nous aurons perfectionné l’autonomie », in « Tesla : des prix cassés, des marges en baisse, mais une production en hausse », Challenges, le 20 juillet 2023. En ligne : <https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/tesla-des-prix-casses-des-marges-en-baisse-mais-une-production-en-hausse_862318>.↩︎

  21. Des premiers projets de Google en 2010 jusqu’à l’accident du véhicule autonome Uber qui coûta la vie à Elaine Herzberg en 2018. Ce drame annonça le renoncement temporaire à ce choix technologique. In Anaïs MOUTOT. « Aux États-Unis, les voitures autonomes face au défi de leur déploiement », Les Échos, août 2018. En ligne : <https://www.lesechos.fr/tech-medias/intelligence-artificielle/aux-etats-unis-les-voitures-autonomes-face-au-defi-de-leur-deploiement-136728>.↩︎

  22. Aujourd’hui il y a chaque jour 1200 handicapés, 3000 blessés graves et 300 décès d’enfants sur la route au niveau mondial. Source : ONU 2022. En ligne : <https://news.un.org/fr/story/2022/11/1130047>.↩︎

  23. Voir la virulence des débats sur l’apparition de l’automobile et les oppositions frontales sur les modes de vie : Mathieu FLONNEAU (dir.). Automobile : Les cartes du désamour. Généalogies de l’anti-automobilisme. Paris : Descartes & Cie, 2009.↩︎

  24. Entre le 28 octobre 1924 et le 26 juin 1925 et sous l’appellation « Expédition Citroën Centre Afrique » ou encore « 2e mission Haardt Audouin-Dubreuil », l’expédition automobile traverse le continent africain du Nord au Sud.↩︎

  25. Voir en ce sens le travail critique de l’artiste Jean KATAMBAYI, Spéculations grise et verte sur l’Accident et l’Oxydant, Biennale de Lubumbashi, République démocratique du Congo, 2019.↩︎

  26. Globalement le contrôle routier est proportionnellement plus important pour les Afro-américains. Par exemple, le contrôle des conducteurs noirs par la police de Fayetteville, en 2010, est de 56 %, soit une différence de plus de 15 % par rapport au pourcentage de conducteurs blancs contrôlés. La chercheuse Sarah A. SEO pointe le risque mortel de ces contrôles dans son ouvrage Policing the Open Road: How Cars Transformed American Freedom. Harvard University Press, 2019. Voir aussi sur Problemata « Derrière le mouvement américain contre les radars automatiques… ». En ligne : <http://www.problemata.org/fr/articles/2723>.↩︎

  27. Par exemple : « Les constructeurs automobiles ont dépensé en 2019 1,82 milliard d’euros pour convaincre les consommateurs d’acheter des véhicules SUV », WWF, mars 2021. En ligne : <https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/lobsession-de-la-publicite-pour-les-suv>.↩︎

  28. Retrofit : action de remplacement d’un moteur thermique par un moteur électrique.↩︎

  29. Bernard CHARBONNEAU. L’hommauto. Paris : Denoël, 1967. Voir aussi sur Problemata « Critique sociale de l’automobile ». En ligne : <http://www.problemata.org/fr/articles/2612>.↩︎

  30. André GORZ. « L’idéologie sociale de la bagnole », revue Le Sauvage, sept-oct. 1973. Voir aussi sur Problemata « L’idéologie sociale de la bagnole ». En ligne : <http://www.problemata.org/fr/articles/2654>.↩︎

  31. Cette notion d’individu suréquipé seul au monde est mise en scène dans les photomontages Slowrider Manifesto (2001) et Supercampagne (2005). Voir Olivier PEYRICOT & Cédric SCANDELLA, Supercampagne, in Valérie GUILLAUME. D-Day, Paris : Centre Pompidou, 2005.↩︎

  32. Shannon MATTERN. « Mapping’s Intelligent Agents », Places Journal, septembre 2017.↩︎

  33. Robert VENTURI, Denise SCOTT BROWN et Steven IZENOUR. Learning from Las Vegas [1972]. Bruxelles : Mardaga, 1978.↩︎

  34. Autofiction, une biographie de l’objet automobile, commissariat Anne Chaniolleau et Olivier Peyricot, 12e Biennale Internationale Design Saint-Étienne, 6 avril – 31 juillet 2022.↩︎

  35. Exemple de calcul de répartition de coût de production d’une automobile : le coût moyen d’un véhicule fabriqué en Europe est estimé à 12 563 €. Le coût des matières premières est estimé à 2 213 € par véhicule en Europe, soit une part comprise entre 15 % et 20 %. Selon L’Argus Automobile 2021.↩︎

  36. Jean-Pierre & Marine CORNIOU. 1,2 milliard d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ? Paris : Lignes de Repères, 2012.↩︎

  37. Anne CHANIOLLEAU et Olivier PEYRICOT. Autofiction, 7 fanzines : #1 Autocritique – vitesse, statut, lutte des classes ; #2 Yana – légal, dessin, corps ; #3 Pick-up – ressources, énergie, production ; #4 Autoproduction – industrie, production en série, bricolage ; #5 Capta – captation, automatisation, cinéma, umwelt ; #6 Rétrofit Démocartis – documenter, démonter, reconditionner ; #7 Composite – assembler, disposer, la vie en défilé. Saint-Étienne : Cité du design, 2022.↩︎