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Le design : politique par essence ?

Introduction

abstract

s design inherently political? The articles in this section offer interpretations of the Anglo-Saxon concept of ‘design politics’. This difficult-to-translate notion seeks to overcome the divide between design and politics that is evident in the proliferation of labels describing activities such as activist design, sustainable design and social design, among others. It is understood that design and conception do not simply consist of creating/generating an object, service or experience, but position and define all design activities as inherently political. The articles in this series, originally published in RADDAR magazine (issues 1, 2019, 3, 2021, and 4, 2022), as well as some articles from the Libraries, bring together a variety of cultural and intellectual approaches. They examine, from specific angles, subjects such as the colonial unconscious of an object and its designer, the possibility of anarchist design, the forensic use of modelling tools, inclusive typographic imaginaries and the attentive/critical observation of ‘co-design’ approaches.

On a constaté et parfois regretté la fin des idéologies1 au nom de la friction des idées, des perspectives possibles à dresser, des utopies qui aident à vivre et permettent de se lamenter sur l’individualisme rampant, l’égoïsme majoritaire, la fin du vivre ensemble, la logique managériale, dérégulatrice ou boursière de l’argent roi, la vanité des signes extérieurs… On avait raison. Mais il fallait du repos après les excès. Ce dernier a-t-il cependant profité aux âmes pacifiées ? Suite à la globalisation, et au devenir du monde occidental depuis 1989, des questions se posent. De quels ordres alors sont les libérations qui nous ont enfermés dans la prison dorée du capitalisme2 ?

Mais voici qu’en fait, depuis une trentaine d’années, de manière répétée, de nouvelles revendications naissent, de nouveaux combats se mettent en place et doucement des réflexions apparaissent. Ils interpellent cet Occident industriel et sûr de lui qui croyait avoir décolonisé, même si, étrangement, ces « derniers grands messages idéologiques de l’Occident au monde » (Éric Marty) émanent encore de lui3. De nouveaux mots, de nouveaux concepts, de nouvelles attentions, de nouvelles positions accompagnent ces mouvements. La période redeviendrait-elle simplement idéologique ?

Revoilà donc les idées et avec elles, à nouveau visible, ce qui avait été mis de côté : l’affrontement possible et la violence parfois de joutes verbales bruissent à nouveau. Des références surgissent et d’autres ressurgissent dans une confusion possible. Avec ces nouvelles notions et avec le couple idéologie et militance (de tous types) reviennent l’instrumentalisation de certaines idées, les incompréhensions, la dangerosité comme la beauté des mouvements, les scissions internes, les tentatives inquisitrices, les anathèmes. Une vieille querelle entre les anciens et les modernes. Des questions que le design connaît également. Elles font partie des informations qui nous parviennent et annoncent un monde politique, repolitisé, qui rouvre les dossiers des inégalités ou des dissymétries. Malgré l’aspect nouvellement dévoilé de leur spécificité, elles n’ont pas fondamentalement changé. La politique est leur ressort comme l’est l’essence politique des comportements, des ségrégations, des concepts. Le design ne pouvait en être exempt, lui dont une poignée de théoriciens4 annoncent et dissèquent l’imprégnation essentielle par la philosophie et la pensée occidentales d’une pratique nommée à partir de l’industrialisation du monde.

Les articles de cette ligne, ont pour la majorité été publiés dans la revue de recherche RADDAR et, pour partie d’entre eux, sont issus du numéro qui interrogeait la notion de « design politics / politique(s) du design » sous la direction scientifique du professeur Danah Abdulla (Colleges of Arts de Camberwell, Chelsea et Wimbledon ; Université des Arts de Londres).

Une difficulté s’est glissée, en particulier avec le terme design politics, que bien des traducteurs universitaires et anglophones trouvent complexe à traduire. Pour Mahmoud Keshavarz, universitaire spécialiste du design à l’origine de cette notion5design politics traite des « conditions ontologiques du design selon lesquelles il représente une forme d’action dans le monde, et sur les effets qu’il génère au sein de différents milieux6 ». Danah Abdulla, dans son introduction7 à la revue, précise :

L’objectif de la politique du design est d’aller au-delà de la séparation entre design ET politique, qui se caractérise par une prolifération de notions telles qu’activisme en design, design socialement responsable, design durable, design pour le changement social et design social, pour n’en nommer que quelques-unes. Ces notions, tout en abordant des questions politiques, se caractérisent à leur tour par des cas spécifiques à une cause (articulée autour de certaines questions et problématiques) et des propositions d’interventions et d’alternatives (c’est-à-dire, un passage à l’action)8 9, sans pour autant s’attaquer directement au domaine politique. Dans le cas contraire, il s’agit de types de designs explicitement politiques au service d’un parti en particulier10. Par conséquent, l’expression « conditions ontologiques du design » signifie que « le design est politique avant même de porter sur des questions explicitement politiques11 ». Pour Keshavarz12, l’expression politique(s) du design13 décrit les « manières dont les pratiques du design et de la politique, historiquement et matériellement, se renforcent et se légitiment mutuellement ».

Ce corpus réunit pour Problemata interroge cette relation design et politique et secoue peut-être la torpeur des idéologies avec lesquelles nous avons été construits historiquement. Il explore les pratiques neuves qui posent question, d’une nécessaire critique des politiques coloniales à la possibilité d’un design anarchiste, des capacités des études historiques à dégager des aspects contre-intuitifs aux imaginaires typographiques inclusifs, en passant par l’observation attentive des démarches de co-design. Les articles issus de numéros #1 et #4 de RADDAR, apportent leur contribution à ces explorations : l’emploi des outils de modélisation pour établir des preuves, une relecture du fonctionnalisme avec Adorno, l’étude critique de l’industrie de l’alimentation, le rapport à l’artificialisation de la nature –dite pourtant sauvage– et à nos milieux, le dialogue fécond entre un designer et un poète de la Beat génération autour d’une approche autre de la fonctionnalité… Autant de contributions qui apportent un éclairage à la question : le design est-il « politique par essence » ? 

Crédits

Cette ligne de recherche est composée d’une sélection d’articles initialement publiés dans la revue RADDAR, en 2019, n°1 « Fonctions/Functions », en 2021, n°3 « politiques du design / design politics » et en 2022, n°4 « faux / fake ». RADDAR est une revue annuelle de recherche en design, coéditée par T&P Publishing (Paris) et le mudac (Lausanne). En addendum, des articles des Bibliothèques complètent la ligne.

Revues RADDAR papier

  • Direction de la publication : Chantal Prod’Hom

  • Comité éditorial: Marco Costantini (mudac, Lausanne), Claire Favre Maxwell (mudac, Lausanne jusqu’en 2021), Jolanthe Kugler (mudac, Lausanne, depuis 2022), Catherine Geel (T&P Publishing), Marie Lejault (T&P Publishing)

  • Membres du comité scientifique : Tulga Beyerle (Museums für Kunst und Gewerbe, Hamburg), Marco Costantini (mudac, Lausanne), Claire Favre Maxwell (mudac, Lausanne), Catherine Geel (CRD – École normale supérieure Paris-Saclay, Ensad Nancy), Karin Gimmi (Museum für Gestaltung, Zürich), Kornelia Imesch-Oechslin (Université de Lausanne), Penny Sparke (Kingston University, Londres), Emmanuele Quinz (Université Paris VIII/Ensadlab)

  • Parrainage scientifique de RADDAR : François Burkhardt .

  • Direction scientifique du n°3 (Politiques du design) : Danah Abdulla (Decolonising the Arts Institute ; Design School at Camberwell, Chelsea & Wimbledon Colleges of Arts – University of the Arts London)

  • Direction scientifique du n°4 (Faux) : Émile De Visscher (CRD/Ens-Paris Saclay ; Humboldt Universität, Berlin) avec Les Presses Pondérées.

Ligne de recherche Problemata

  • Auteurs : Jamie Allen (artiste et chercheur, FHNW Academy of Art and Design de Bâle), Collective Bye Bye Binary (designers, chercheurs, enseignants, France et Belgique), Vincent Beaubois (philosophe, IrePh/Université Paris Nanterre), Claire Brunet (philsophe, CRD/Ens Paris Saclay), Émile De Visscher (designer, CRD / Ens Paris-Saclay, Humboldt Universität, Berlin), Ludovic Duhem (philosophe et artiste, HEAR Strasbourg, Université de Lille), Frédérique Entrialgo (chercheure, Project(s)/ Ensa Marseille), Simone Fehlinger (designer, chercheure, Spacetelling/esad Saint-Étienne), Catherine Geel (historienne, Ensad Nancy, CRD/Ens Paris-Saclay), Arthur Gouillart (designer et chercheur indépendant, Londres), Nolwenn Maudet (designer, maitre de conférence, Accra/Université de Strasbourg), Simone C. Niquille (designer et chercheure indépendante, Amsterdam), Ernesto Oroza (designer, Spacetelling/ esad Saint-Étienne), Olivier Peyricot (designer et chercheur indépendant, Saint-Étienne), Emanuele Quinz (historien de l’art et du design, Université Paris VIII/EnsadLab Paris), Francesco Sebregondi (architecte, EnsadLab Paris), Elaine Tam (éditrice et commissaire indépendante, Londres), Kiersten Thamm (historienne de l’art, University of Delaware), Fred Turner (historien des médias, Stanford), Cora T. Walker (avocate, Harlem)

  • Traducteurs : Nancy Burgess, Dennis Collins, Odile Ferrard, Linda Gardiner, Matthieu Ortalda, Charles Penwarden, Susan Pickford, Christopher Scala

  • Relectrice : Stéphanie Geel

  • Coordinatrices de la ligne: Marie Lejault (ingénieur de recherche Problemata), Catherine Geel (Ensad Nancy – CRD / Ens Paris-Saclay), Juliette Halais (assistante de recherche, Ens Paris-Saclay)