Introduction
Depuis la fin des années cinquante, la conquête spatiale a modifié de manière certaine notre savoir et notre usage des espaces. La banalisation de l’image de la Terre vue du ciel, la satellisation de l’espace et les télécommunications transforment nos imaginaires, nos objets, nos notions de distance et de vitesse voire même nos comportements sociaux. Du 18 mai au 12 septembre 1983, le CCI expose Au temps de l’espace dans le Forum du Centre Georges-Pompidou et se propose d’éclairer le visiteur sur sa perception de l’espace interstellaire et sur les rapports qu’il entretient avec celui-ci. Jean-Paul Pigeat, commissaire de la manifestation, mise dans cette optique, non sur une exposition du savoir par les mots et les images, mais sur une exposition de l’expérience et des sens, pensée comme une promenade interactive : le visiteur déambule dans un espace interstellaire fictif. À l’aide d’installations hors-normes et de technologies avancées, Pigeat a pour volonté de faire éprouver la notion de l’espace au visiteur. Fusées gigantesques, ordinateurs en nombre et jeux de lumières aident à comprendre ce milieu qu’il n’est pas possible de circonscrire et de représenter par le plan seul. Au temps de l’espace apparaît alors autant comme une exposition de l’Espace que comme du spectacle. À partir des archives de cette exposition, nous essaierons de comprendre quels enjeux se cachent derrière cette scénographie. Nous nous proposerons d’y répondre par une tension où le spectaculaire est tout autant un outil pédagogique destiné un public de masse qu’un moyen de promotion et de notoriété pour le CCI.
Une exposition pour l’année des télécommunications
La conquête de l’Espace et des télécommunications racontée
1983 est proclamée année mondiale de la communication, le CCI met donc à l’honneur les technologies de l’information et de la communication1 au sein du Centre Georges-Pompidou avec plusieurs expositions : Eurêka, un siècle d’inventions françaises, Ne coupez pas ! et Au temps de l’espace. Dans le Forum est installée Au temps de l’espace: une exposition autour de la conquête spatiale. Sous la direction de Paul Blanquart2 et du commissaire d’exposition Jean-Paul Pigeat3, on rassemble films, photographies, objets et maquettes qui traitent de ce sujet. D’un même front, on réalise des entretiens auprès de scientifiques, de sociologues, d’experts de l’information ou d’artistes pour compléter et analyser ces objets4. Ensemble, ils permettent de composer un discours contemporain et exhaustif sur la conquête spatiale. Ce travail très complet permet de produire un parcours d’exposition, un catalogue et une affiche de communication (Fig. 1) mais également une animation radiophonique et un cycle de conférences. Initialement appelée Une nouvelle expérience de l’espace, l’exposition souhaite questionner le visiteur sur sa propre perception de l’Espace depuis que nos sociétés se sont engagées vers une course effrénée. En effet, depuis la fin des années cinquante et la constitution des deux blocs de l’Ouest et de l’Est, les voyages spatiaux et les découvertes scientifiques se multiplient5. Diffusés par les médias, et notamment par la télévision, ils développent une nouvelle image de l’espace : nous en avons une meilleure connaissance et par la photographie, nous nous habituons à une nouvelle représentation de ses échelles. Mais le développement du domaine spatial ne repose pas seulement sur la conquête d’un savoir scientifique, c’est également la conquête d’un territoire. Le peuplement de la périphérie terrestre par la satellisation change nos façons de diffuser et d’acquérir l’information. La vitesse, la simultanéité et les échanges en réseaux permis par les télécommunications rendent les notions de distance et de temps plus abstraites. Les voyages spatiaux et les télécommunications entraînent une nouvelle façon de s’y situer en tant qu’être humain. C’est une révolution de nos perceptions6.
La conquête de l’Espace à l’épreuve du design
Le CCI ne veut pas être une démonstration des objets du passé à la manière d’un musée traditionnel mais souhaite traiter du présent7. Il se propose d’exposer les objets crées et inventés par l’industrie et de faire reconnaître le design comme discipline. Il s’attache à les expliciter par leur contexte technique, social et symbolique afin que le public puisse entrevoir le design dans toutes ses dimensions8. Pour l’année des télécommunications, Au temps de l’espace fait l’étude d’un certain nombre de produits par le prisme de la conquête spatiale. Architecture, urbanisme, objet, graphisme et textile sont analysés sous cette thématique pour tous ceux qui les utilisent et les vivent. On invite ainsi non des professionnels, mais un public large et diversifié à se ré-approprier son environnement matériel9. Cela signifie qu’au sein de l’exposition n’importe quel visiteur doit pouvoir comprendre les nouvelles données scientifiques, politiques et sociales sur l’espace et les télécommunications et saisir les modifications que cela apporte dans son environnement. L’exposition est alors pensée comme une promenade pédagogique autour de produits de la vie courante et d’éléments de la culture populaire10. Dans un premier temps, films explicatifs, simulation en vol spatial, jeux de sons et lumières pour ressentir les phénomènes de vitesse et d’ubiquité de l’information permettent au visiteur de s’immerger dans l’espace interstellaire.* Les salles suivantes privilégient un angle plus sociologique et montrent comment la société a appréhendé, rêvé et accepté jusqu’ici cette conquête. Space art, bande dessinée, littérature, mais également publicité, jouets, objets et produits alimentaires sont la trace matérielle d’une vision de l’espace. En déambulant dans les dernières salles, plus prospectives, le visiteur s’interroge même sur les nouvelles formes de sociétés, d’urbanisme et de produits que peut engendrer cette conquête. L’exposition se clôture par un questionnaire par lequel il effectue un bilan de sa propre perception du monde interstellaire (Fig. 2).
Une exposition du spectacle
Le théâtre de l’Espace
Dans le parcours que nous venons de retracer, de multiples dispositifs sont installés pour créer un environnement simulacre de l’espace. Structures métalliques, rideaux bleu foncé, rambardes lumineuses et cartels noirs tapissent l’environnement dans lequel le visiteur s’apprête à entrer11. Il est accueilli par un mannequin parlant et déguisé en astronaute12. Il se prête à une simulation de vol13. Il monte une première pente, il descend, remonte une autre pente où il assiste à des jeux de sons et lumières. Il s’engage dans un couloir, se heurte à la fusée de Jules Verne reconstituée à l’échelle 1 et parcourt des vitrines dans la pénombre. À la fin de ce long couloir, il lève la tête vers le ciel où sont disposés des écrans. Enfin, il embarque à l’intérieur d’une seconde fusée. Surmontée d’une colonne grecque, celle-ci contient une coupole étoilée où est projeté un diaporama14. Le visiteur termine son parcours en laissant une dizaine d’ordinateurs derrière lui, comme s’il quittait son tableau de bord15 (Fig. 3 et Fig. 4). De cette description, on retient que le spectateur déambule dans un véritable théâtre de l’Espace. Obscurité, lumières artificielles, couleurs froides et saturées, matériaux lissés et métalliques, élévation de l’architecture et sons machinaux reforment le milieu interstellaire dans son ensemble. Les 900 m2 du forum sont pensés comme une entité continue dédiée à sa mise en volume. On aurait pu craindre que la rationalité des faits scientifiques et la technicité de quelques objets produisent un désenchantement de la conquête spatiale16, mais la mise en décors proposée provoque un dépaysement total (Fig. 5).
Des dispositifs hors-normes
Au vu des images et des documents conservés aux archives du Centre Georges-Pompidou, Au temps de l’espace apparaît comme une exposition du spectaculaire et de la démesure. Les effets spéciaux (fumée, sons, projecteurs…) mais aussi la taille des installations et du lieu participent à cette impression. Le Forum est en effet un lieu imposant, aussi bien en largeur qu’en hauteur. Paul Blanquart, directeur du CCI, le mentionne d’ailleurs comme un espace « difficile à maîtriser du fait de son très important volume accessible au public17 ». On décide de construire une architecture sur trois niveaux afin d’occuper l’essentiel de l’espace. On traverse l’ensemble de l’exposition par des couloirs, des salles mais aussi par des escaliers et des pentes dont l’une mesure plus de treize mètres18. La grandeur de cet espace est prise comme une opportunité et permet le déploiement de larges dispositifs : projections, diaporamas, reconstitution échelle 1 de la fusée du roman De la Terre à la Lune19, montage d’une seconde fusée à plusieurs étages, etc. Cette dernière est d’ailleurs visible depuis les portes vitrées du Centre Georges-Pompidou afin de piquer la curiosité du visiteur (Fig. 4). Le CCI n’hésite pas à user de moyens pour mettre en scène le caractère vertigineux de l’espace et pour rendre compte des dimensions des engins spatiaux utilisés. La place et les moyens donnés au sein du Centre au CCI nous montre également que l’exposition s’adresse à un très large public, qu’on espère en nombre : elle n’est pas pensée comme un événement élitiste mais bien comme un spectacle populaire.
Place à l’écran
Spectaculaire, l’exposition ne l’est pas seulement par son sujet ou ses reconstitutions mais aussi par les technologies qu’elle emploie : le visiteur entre en immersion dans un monde d’installations techniques et interactives. Dès l’introduction un écran supplante le texte imprimé20 :
Nous avons pensé que le langage de l’exposition pourrait être, lui aussi, une retombée de ces nouvelles technologies. […] Pas de panneaux ou presque. Il faudra, pour accéder à l’information, passer par l’intermédiaire de claviers d’ordinateur21.
Écrans, claviers, mais aussi hologrammes, boutons et manettes sont présents dans la majorité des installations de l’exposition. On retiendra que le visiteur peut téléguider des projecteurs pour éclairer des vitrines, télécommander des écrans pour écouter des extraits de romans de Jules Verne ou s’installer devant un poste d’ordinateur pour se promener dans une ville modélisée en 3D22. La dernière salle est même uniquement composée d’ordinateurs. La technologie est considérée comme le support de présentation du texte et des objets. Pour cela, la Mission à l’audiovisuel du Centre Georges-Pompidou en collaboration avec la société Atari installent le matériel technique23, d’ailleurs inventorié très tôt, en parallèle des objets et documents à exposer24. L’année des télécommunications est tout autant pensée par le CCI dans les sujets qu’il sélectionne que par l’équipement dans lequel il investit. Et par sa multiplication et sa centralité, il participe à une mise en scène plus générale qui fait la démonstration d’un établissement très moderne. On assiste donc à un spectacle populaire et inédit.
Un spectacle pédagogique
L’expérience et le souvenir
Le thème de la conquête spatiale est un domaine autant scientifique et technique, réservé à une élite pointue, qu’une épopée héroïque et un enjeu géopolitique majeur pendant la Guerre froide. L’exposition Au temps de l’espace, qui s’adresse au plus grand nombre, se retrouve face à un public peu avisé ou peu expert de ces questions. Il faut en conséquence vulgariser les connaissances et les rendre attractives. Le premier investissement du CCI consiste à créer des expériences ludiques, interactives et séduisantes qui font parler d’elles hors du Centre Georges-Pompidou. En effet, l’exposition ne se limite pas à un discours clair et bien pensé dans l’espace. On met en scène la découverte et le savoir25 : on pense le jeu, la surprise ou l’émerveillement dans l’étalage des informations. Les visiteurs peuvent ainsi comprendre le propos sans prérequis et former rapidement leur propre socle de connaissances. Le but de ces expériences est également de retenir plus facilement toutes ces informations une fois l’exposition terminée. On tente de façonner un souvenir plus fort en associant une luminosité particulière, un geste, un son ou une émotion à l’information. L’expérience sensorielle couplée à une information appuie, en effet, son souvenir26. Le spectaculaire est donc un outil d’accès et de mémorisation du savoir.
L’intelligence du corps
En 1983, l’espace est surtout connu du grand public grâce aux images relayées par les médias. Journaux et télévision proposent de l’image, voire du mouvement et du son, mais toujours dans un petit format et dans une mise à distance. La perception que nous avons de l’espace se fait au travers d’images rapportées, interprétées et peut-être un peu pauvres. En effet, les médias diffusent des images scientifiques, où l’espace, vu dans son ensemble, ne correspond pas à la compréhension immédiate de nos sens27. Les bandes dessinées, les livres de science-fiction et le cinéma trouvent nombre de subterfuges pour détourner ce support qu’est l’image. Le contraste entre le noir et les couleurs vives, la forme de bulle, les lignes obliques, la perspective centrale pour reconstruire un milieu sans limites et dénué d’atmosphère sont utilisés de manière récurrente28. L’exposition tente également de dépasser cette contrainte, et c’est justement un des atouts des expositions que de pouvoir exprimer l’information par l’espace. Les dispositifs interactifs proposent au visiteur d’être acteur et de jouer de son corps. Les effets sonores et visuels accentuent sa compréhension. Les reproductions échelle 1 des deux fusées lui permettent d’être l’étalon-mesure des dimensions réelles des engins spatiaux. Enfin, il devient même un protagoniste de l’Espace quand il croise le mannequin parlant de l’accueil et participe à une simulation de vol spatial. Il « joue » finalement dans des scènes. L’exposition Au temps de l’espace, par le biais de ses divers dispositifs scénograpiques, s’adresse à plusieurs intelligences : celle des mots et du savoir scientifique et celle du corps et des cognitions, plus intuitive. Par sa scénographie, l’exposition redouble de pédagogie.
Une double vitesse de lecture
Les écrans occupent une place prépondérante et s’attribuent différentes fonctions. On diffuse du texte, des images, des vidéos, on laisse les visiteurs les sélectionner ou les faire défiler grâce à des boutons et des manettes. On peut afficher, commander et interagir avec l’information. Les écrans sont pensés comme les moyens d’accès à une connaissance argumentée et à la réflexion. On remarque que certains des dispositifs sont conçus pour être vus par un ensemble de visiteurs alors que d’autres nécessitent sûrement que l’on fasse la queue pour y accéder. Les écrans et dispositifs connexes qui s’utilisent seuls permettent des points individuels de lecture où le visiteur choisit et construit son propre corpus de savoirs. Cette manipulation collective ou indépendante des installations propose ainsi un parcours double de l’exposition. Les technologies entraînent différents flux et peuvent à un moment donné créer des rapports plus intimes avec les informations ou les objets exposés et donc différents niveaux de lecture et de précision. L’écran trouve un intérêt éducatif dans les moments d’interaction mais aussi de proximité qu’il produit au sein d’une exposition de masse.
Le spectacle comme format de visibilité
Une stratégie du CCI
L’exposition Au temps de l’espace est annoncée sur la façade du centre Georges-Pompidou29, comme pour les plus importantes expositions du MNAM. Elle se tient pendant quatre mois dans le Forum et plus de 480 000 personnes y affluent. Parmi toutes les expositions de 1983, c’est bien celle qui occupe les lieux le plus longtemps et accueille le plus grand nombre de visiteurs30. Certains documents permettent d’affirmer que cette exposition est, depuis le début, pensée comme une superproduction. Entre autres, le CCI fait appel à l’entreprise FRG Bonjour ! pour la réalisation graphique et la production scénographique. Un des critères qui a permis de retenir ce prestataire a été le succès de 20 000 lieux sous les mers31 également présentée dans le Forum en 1978. On cherche donc à amener dans les murs du Centre Georges-Pompidou le plus de notoriété. Son corollaire est son budget : trois millions de francs. Sur une feuille manuscrite et anonyme, conservée dans les archives32, on apprend que le budget théorique pour cette exposition dépasse de deux fois le budget réel du CCI et qu’il doit rapidement trouver des financements extérieurs. La question suivante est posée en conclusion : « Comment peut-on faire pour ne pas aller à la dérive ? » L’exposition se doit donc d’être un succès. Les dispositifs spectaculaires, pensés comme outils pédagogiques pour un public de masse, sont également les dispositifs d’une recette. Les dispositifs sensoriels et interactifs, dits d’expérience, possèdent un double statut : de leur caractère vulgarisateur et ludique, ils ressortent autant du partage de la connaissance que du profit. On se déplace pour assister à une manifestation intellectuelle mais également pour participer à un spectacle33. De ce constat, on peut établir un premier rapprochement entre le CCI et les foires universelles américaines, montées pour stimuler l’économie des villes qui les ont accueillies34.
Dans la tradition des grandes expositions américaines
Les installations d’ampleurs ou attractions ont déjà été l’apanage des expositions universelles et notamment américaines comme la New York World’s Fair (1939), d’ailleurs comparable dans son thème35. On pourrait également citer à titre d’exemple la Columbian World’s Fair de Chicago (1983), la Seattle World’s Fair (1962) ou même l’exposition Road to Victory qui eut lieu au MoMA (1942)36. L’idée scénographique qu’elles développent est d’emmener le spectateur dans un nouvel environnement et de lui donner le sentiment qu’il voyage le temps d’une exposition37. Elles se composent de pavillons, autrement appelées « architectures de commerce38 », qui sont autant conçus pour impressionner que pour abriter des installations immersives et participatives39. Dans les pavillons Futurama (Fig. 6), Democracity (Fig. 7) ou dans la National Cash Register (Fig. 8)40 de la New York World’s Fair sont déjà mises en place la plupart des techniques que l’on retrouve dans la conception d’Au temps de l’espace: jeux de sons et lumières, diaporama, manettes, boutons, espaces sur plusieurs hauteurs, pentes, hôtesses qui accueillent et informent le public… L’astronaute à tête parlante placé à l’entrée pourrait être un signe de cette tradition. La fusée sur plusieurs étages serait quant à elle le symbole des pavillons. Pour étayer cette hypothèse, on peut se référer aux archives qui nous apprennent que Jean-Paul Pigeat et Ariane Delilez41 sont allés aux États-Unis dans le cadre d’un voyage d’études. Leur parcours entre New York, Orlando, Washington et La Nouvelle-Orléans leur permet de visiter des lieux qui ont accueilli des expositions universelles et qui sont hantés par le spectaculaire et le rapport aux techniques. Ce voyage leur donne aussi l’occasion de visiter d’autres sites comme le Space Museum, la base de lancement Cap Kennedy, ou l’Epcot-Center42 dont la création a été inspirée par les foires universelles43. Les immenses baies vitrées du Space Museum (Fig. 9) de Washington, d’où l’on aperçoit sous des poutres métalliques des grands appareils d’exploration comme le module de commande d’Apollo 11 ou le Spirit of St. Louis, rappellent aisément la vue que l’on a depuis l’entrée du Centre Georges-Pompidou44. Au temps de l’espace semble s’inscrire volontairement dans la lignée des grandes foires universelles et notamment américaines par les dispositifs qu’elle propose.
Une excellence française à démontrer ?
Les États-Unis, de par leur implication dans le domaine spatial, leur culture de la bande dessinée ou du cinéma, sont évidemment des acteurs clefs dans le contenu de l’exposition. Nombre des images qui ont servi au travail préparatoire proviennent d’ailleurs de la Nasa. Mais l’exposition valorise également un savoir français. Des projets d’artistes, d’architectes, de poètes et de scientifiques français ont leur place dans les vitrines, célébrant le rattrapage d’un important retard dans le domaine des télécommunications qui a frappé les années précédant l’exposition. Il est vrai qu’en 1973, le gouvernement met au point le plan Delta LP afin d’équiper le territoire national de nombreuses lignes téléphoniques pour ressembler à ses voisins européens45 et investit fortement dans la recherche grâce au CNET et au CNES46. Le trafic intercontinental explose, notamment vers l’Afrique. L’État voit ses premiers satellites lancés (FR1), ses propres fusées décoller (Véronique, Centaure, Bélier) et s’allie à de grands projets européens comme Ariane et Ariane 247. Par tous ces efforts, la France se hisse à la troisième place dans la course spatiale48. On peut donc faire l’hypothèse d’un État qui, pourvoyant à près de 90 %49 des subventions du Centre Georges-Pompidou, promeut également par le CCI et ses expositions grand public son action. Le thème choisi, le spectaculaire et les outils technologiques font dans ce cas la démonstration d’un État moderne et le parallèle peut être tracé avec la manière dont les commissions officielles des expositions universelles cherchent à façonner l’image d’un État d’invention et de progrès50. L’exposition universelle est en effet conçue comme un espace délimité mettant le public face à son passé, son présent et son futur technologique51 dans le but de resserrer un lien entre progrès et patriotisme52. La New York World’s Fair naît d’ailleurs face à la Grande Dépression et se présente comme le spectacle d’un futur prospère et festif ne tenant que par les progrès démocratiques et industriels53. Il convient donc ici, par un même système, de placer les citoyens devant l’action de l’État pour en montrer la puissance, en plus de les questionner ou de les préparer aux évolutions liées à la conquête de l’espace.
Conclusion
Au temps de l’espace est une exposition grand public où les visiteurs partent à la découverte de la conquête spatiale et de la façon dont elle irrigue le quotidien malgré son exotisme, pensée comme une promenade interactive et immersive : les visiteurs éprouvent l’espace comme s’ils voyageaient hors de la Terre. Démesure, technologie et dépaysement qualifient donc les décors de cette exposition et en font un véritable succès. Mais ces décors constituent en réalité des outils pédagogiques. On entend, on voit, on touche, on joue à l’astronaute et l’on apprend. Des expériences se créent et rendent le grand nombre d’informations plus digeste. Ces dispositifs interactifs ne manquant pas d’attraits sont autant à voir que ce qu’ils contiennent. Technologie, interaction et mini-architectures nous renvoient directement aux foires et aux grandes expositions universelles. Sûrement influencés par les pavillons de la New York World’s Fair ou du Space Museum de Washington lors d’un voyage d’étude aux États-Unis, les concepteurs d’Au temps de l’espace s’inscrivent dans une tradition formelle de l’exposition. Voire peut-être même idéologique. Car cette exposition propose, en plus d’une thématique, une vision particulière de l’État qui la finance. Elle établit le bilan d’une décennie de recherches françaises dans le domaine du spatial et des télécommunications et en dépeint une image pleine de modernité et de progrès.
Bibliographie
Ouvrages
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Articles
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Centre Georges-Pompidou. Rapport d’activité 1983. op. cit. (consulté le 30 janvier 2019). http://archivesetdocumentation.centrepompidou.fr↩︎
Plan de l’exposition, 07 décembre 1983, Paris : Archives du Centre Georges-Pompidou, boîte n° 1994W033 203.↩︎
Photographies de l’exposition, 1983, Paris : Archives de la Bibliothèque Kandinsky.↩︎
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Plan de l’exposition, 07 décembre 1983, Paris : Archives du Centre Georges-Pompidou, boîte n° 1994W033 203.↩︎
Photographies de l’exposition, 1983, Paris : Archives de la Bibliothèque Kandinsky.↩︎
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Paul BLANQUART. Note à l’attention du contrôleur financier, Paris : Archives du Centre Georges-Pompidou, boîte n° 1994W033 202.↩︎
Plan de l’exposition, 07 décembre 1983, Paris : Archives du Centre Georges-Pompidou, boîte n° 1994W033 203.↩︎
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Plan de l’exposition, 07 décembre 1983, Paris : Archives du Centre Georges-Pompidou, boîte n° 1994W033 203.↩︎
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Plan de l’exposition, 07 décembre 1983, Paris : Archives du Centre Georges-Pompidou, boîte n° 1994W033 203.↩︎
Jean-Paul PIGEAT (dir.). Au temps de l’espace, op. cit.↩︎
Lettre adressée à la fondation Nicolas Ledoux présentant les missions de l’équipe de conception, op. cit.↩︎
Pascal ORY. « Les expositions universelles, de 1851 à 2010 : les huit fonctions de la modernité ». In Duanmu MEI, Hugues TERTRAIS (dir.). Temps croisés, tome 1. Paris : Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2010, p. 225-233.↩︎
Nicolas et Jean-Paul MINVIELLE. Design d’expérience : un outil de valorisation des biens et des services. Paris : De Boeck Supérieur, 2010.↩︎
Jean-Paul PIGEAT (dir.). Au temps de l’espace, op. cit.↩︎
Natalie RAYMOND. « Images d’espace dans la science-fiction ». In Jean-Paul PIGEAT (dir.), ibid., p. 80.↩︎
Bruno CHAVANE. Note à l’attention de Monsieur Louveau, 03 janvier 2983, Paris : Archives du Centre Georges-Pompidou, boîte n° 1995W052 16.↩︎
Centre Georges Pompidou. Rapport d’activité 1983, op. cit. (consulté le 4 janvier 2019) http://archivesetdocumentation.centrepompidou.fr↩︎
20 000 lieux sous les mers, à la découverte du pétrole en mer, exposition au Centre Georges-Pompidou, Galerie du CCI, Forum (15 novembre 1978 – 26 février 1979).↩︎
Sur l’exposition « Espace spatial », 12 décembre 1982, Paris : Archives du Centre Georges-Pompidou, boîte n° 1995W052 16.↩︎
Pascal ORY. « Les expositions universelles ». In Duanmu MEI, Hugues TERTRAIS (dir.). Temps croisés, op. cit.↩︎
Robert RYDELL. All the World’s a Fair: Visions of Empire at American International Expositions 1876-1916. Chicago : University of Chicago Press, 1984.↩︎
L’Exposition universelle de New York en 1939 présente un nombre important de nouvelles technologies industrielles (télévision, fax, transports…) qui vont modifier le quotidien des Américains.↩︎
Herbert BAYER. « Aspects of Design of Exhibitions and Museums ». Curator, vol. 4, n° 3, 1961, p. 257-258.↩︎
Timothy MITCHELL. « The World as Exhibition ». Comparative Studies in Society and History, vol. 31, n° 2, 1989, p. 217-236 (consulté le 30 janvier 2019). https://www-jstor-org.fr/stable/178807↩︎
Musée des Arts décoratifs (Paris). Le Livre des expositions universelles : 1851-1989. Paris : Herscher, 1983.↩︎
Olivier LUGON. « La photographie mise en espace. Les expositions didactiques en Allemagne (1920-1930) ». Études photographiques, 5 novembre 1998 (consulté le 30 janvier 2019). http://etudesphotographiques.revues.org/168↩︎
Futurama, pavillon de Général Motors, Democracity, diorama d’Henry Dreyfuss présenté dans la Périsphère et la National Cash Register, pavillon de Walter Dorwin Teague.↩︎
Membre de l’équipe de l’exposition.↩︎
Thierry COLTIER. « Brèves réflexions sur un parc américain : E.P.C.O.T., ou le rêve affadi ». Travaux de l’Institut géographique de Reims : Loisir touristique, pratiques, équipements, dynamiques nouvelles, n° 73-74, 1988, p. 119-123 (consulté le 30 janvier 2019). <www.persee.fr/doc/tigr_0048-7163_1988_num_73_1_1229>↩︎
Robert RYDELL. Fair America: World’s Fairs in the United States. Washington : Smithsonian Institution Press, 2000.↩︎
Robert HILL, John SONDERMAN. « Le musée national de l’Air et de l’Espace à Washington (États-Unis) ». Acier stahl steel, n° 7-8, 1974, p. 305-307.↩︎
Jacques ARLANDIS. « Le développement des télécommunications : les enjeux économiques de la mutation des années 1980 ». Tiers Monde, n° 111, 1987, p. 535-542 (consulté le 30 janvier 2019). https://www.persee.fr/doc/tiers\_0040-7356\_1987\_num\_28\_111\_4504↩︎
CNET, Centre National d’Études des Télécommunications (1944–2000) et CNES, Centre National d’Études Spatiales (1961–).↩︎
Catherine BERTHO-LAVENIR (dir.). Histoire des télécommunications en France. Toulouse : Éres, 1984.↩︎
Hubert CURIEN. « Un espace utile ». In : Jean-Paul PIGEAT (dir.). Au temps de l’espace, op. cit., p. 128-132.↩︎
Centre Georges-Pompidou. Rapport d’activité 1983, op. cit. (consulté le 30 janvier 2019). http://archivesetdocumentation.centrepompidou.fr↩︎
Philippe BOUIN, Christian-Philippe CHANUT. Histoire française des foires et des expositions universelles. Paris : Nesle, 1980.↩︎
Pascal ORY. « Les expositions universelles… ». In : Duanmu MEI, Hugues TERTRAIS (dir.). Temps croisés, op. cit.↩︎
Robert RYDELL. All the World’s a Fair, op. cit.↩︎
Francesca PICCHI. « NY World’s Fair ». Domus, n° 821, 1999, p. 90-99.↩︎