Shannon MATTERN. « Mapping’s Intelligent Agents », Places Journal, septembre 2017. Extraits traduits de l’américain par Noémie Ségol, in Autofiction, n° 5, Capta [fanzine]. Saint-Étienne : Cité du design, 2022, p. 38-47.
Dans la « guerre des cartes à coups de milliards » déclenchée par les véhicules autonomes, ces derniers sont sans doute ce qu’il y a de moins intéressant à étudier. Comment les machines intelligentes lisent-elles le monde, comment l’écrivent-elles ? À quels autres intelligents devrions-nous nous intéresserFig. 1 ?
Cela tient de l’évidence : aujourd’hui, les capacités de perception de nos machines couvrent l’ensemble du monde ou presque, des profondeurs des failles océaniques aux cavités du cœur humain. Dans les années 1940, forts de milliers d’années de recherches menées au nom de la physique, de la guerre ou de l’histoire naturelle, des médecins ont utilisé pour la première fois des ultrasons pour étudier le corps humain et celui des animaux. Suivant l’exemple des dauphins et des chauves-souris, mais aussi celui de Léonard de Vinci qui expérimenta très tôt des techniques d’écholocalisation, des ingénieurs navals du début du xxe siècle ont entrepris de détecter les mines et les sous-marins au sonar. Les études originales de Wilhelm Röntgen, Nikola Tesla et Thomas Edison sur les rayons cathodiques ont induit le développement de la photographie aux rayons X, permettant aux radiologues d’observer les os cassés, aux historiens de l’art de décrypter les couches de peinture à l’huile ou aux physiciens d’étudier les structures cristallines.
Les capacités de perception des machines ont ainsi connu plusieurs révolutions qui ont transformé et retransformé la médecine, l’ingénierie ou les productions artistiques. Aujourd’hui, enfin, ces technologies convergent en apothéose vers – je crois entendre un pschitt – la voiture autonome !
Pardonnez mon manque d’enthousiasme. Si l’on en croit le battage médiatique, les véhicules à délégation de conduite vont réduire les embouteillages, raccourcir les temps de trajet quotidiens, diminuer la consommation pétrolière, freiner le réchauffement climatique, faciliter les déplacements, rendre les places de parking à de meilleurs usages et améliorer tant la santé publique que la justice sociale1. Tout cela est très bien. Les études prédisent qu’en 2050, la voiture autonome nous épargnera 59 000 décès et 250 millions d’heures de navette chaque année, tout en soutenant une « économie du passager » qui brassera 7 000 milliards de dollars2. La société mère de Google, Alphabet, s’apprête à prendre la tête de ce marché en créant des synergies avec les véhicules autonomes de Waymo, les outils de navigation de Waze, les innovations urbaines de Sidewalk Labs, ou encore Google Maps – auxquels se greffent des outils de référencement et de publicité, et peut-être même des sociétés de maintien de l’ordre et de sécurité privée3 ! Le secteur compte déjà des centaines d’acteurs, petits ou grands4, qui ont mis la main sur les spécialistes en cartographie, en SIG (systèmes d’information géographique) ou en robotique, ainsi que sur des ingénieurs et techniciens en tous genres, pour les embarquer dans ce qu’un commentateur désigne comme « une guerre des cartes à coups de milliards5 »Fig. 2.
L’expression est certainement un euphémisme tant les applications de la cartographie dépassent le sujet des voitures autonomes. Obtenir la maîtrise des cartes ouvre toutes les portes, de la guerre automatisée aux activités logistiques en passant par la publicité géociblée. L’éventail des possibles englobe aussi des activités plus sympathiques. Les cartes dessinées par les intelligences artificielles (IA) sont une révolution pour d’innombrables activités de recherche et de design ; elles sont aussi capables d’influencer les politiques et la gouvernance publiques, à commencer par la protection de l’environnement et la santé.
Face à de tels enjeux, il nous faut sans cesse nous interroger de manière critique sur la manière dont l’espace est conceptualisé par les machines, et comment celles-ci le définissent opérationnellement. Comment rendent-elles notre monde mesurable, navigable, utilisable, préservable ? Nous devons aussi élucider comment ces intelligences artificielles, avec leurs capteurs digitaux et leurs modèles de deep learning, se superposent aux intelligences et aux subjectivités à l’œuvre dans la cartographie, sans les réduire à de simples « Autres » informatiques6. J’emploie ici le terme d’« intelligence » au sens large afin d’y inclure toute la diversité des concepts touchant à la capacité de connaître, à travers les disciplines et les cultures. Nombreux sont les autres Autres – les populations marginalisées ou autochtones, les acteurs non humains de notre environnement – qui sont parties prenantes de l’univers cartographique, et pas seulement en tant que sujets d’étude. Ils sont des agents actifs de la représentation spatiale, avec une intelligence de l’espace qui leur est propre et des intérêts distincts dans les environnements que nous partageons tous7Fig. 3.[…]
La cartographie automatique – et nous ?
Pour être honnête, je me moque des voitures autonomes comme de mon premier capteur. Et comme de toute automobile, à vrai dire. Comment se passionner pour cette fétichisation de la mobilité individuelle ? Pour ces innovations qui reposent sur une infrastructure hostile, destructrice des paysages et nécessitant une maintenance constante ?
Le débat qui m’intéresse véritablement est celui-ci : comment mettre à profit toutes ces technologies, anciennes ou récentes, pour améliorer le monde que nous habitons, le monde que nous déchiffrons – nous, humains, et nos compagnons non humains ? Certains designers urbains imaginent que la restriction de la circulation permettra d’allouer l’espace ainsi libéré à des voies piétonnes, des pistes cyclables et des parcs8. D’autres nous incitent à prendre conscience de la manière dont nous redessinons les villes en y intégrant les préférences sémantiques de nos amis robots. Geoff Manaugh suggère avec malice que nous exploitions les bizarreries sensorielles des machines, comme la vulnérabilité du Lidar face aux surfaces réfléchissantes, pour penser « des environnements et des espaces délibérément conçus pour leurrer, égarer et plus généralement embrouiller » les agents autonomes9. Dans ce monde à venir où les forces armées et de police seront robotisées, on peut imaginer que certains designers se spécialisent dans la création d’univers indéchiffrables par les robots, plutôt que de favoriser la perception automatisée. Ces « cartographies autres » pourraient-elles avoir d’autres conséquences sur le design d’espacesFig. 4 ?[…]
James Bridle est un artiste dont plusieurs œuvres prennent pour objet les politiques d’automatisation. Il constate :
Les voitures autonomes concentrent un panel de technologies très intéressantes – la vision et l’intelligence artificielles, entre autres – qu’elles confrontent à des problématiques sociales capitales telles que l’évolution de la nature du travail et son atomisation, la bascule du pouvoir en direction des élites du monde des affaires et de la Silicon Valley, voire la foi quasi religieuse dans la puissance de calcul comme seul cadre de production de la vérité – et par extension, l’éthique et la justice sociale10.
Nous devons nous pencher sur la manière dont les humains et les machines appréhendent le temps et l’espace différemment, grâce à des sens divers. Nous devons analyser comment l’intelligence spatiale, dans tous ses aspects, est définie opérationnellement par (et pour) les humains et les machines. Et nous devons nous confronter aux conséquences de la création d’une carte du monde créée principalement pour les agents non humains, avec une fiabilité sans précédent. L’automobile elle-même m’intéresse moins que le terrain critique qu’elle désigneFig. 5. […]
Nous avons affaire là à une variante du « problème du commis voyageur » : comment déployer efficacement les ressources – qu’elles prennent la forme de véhicules Uber ou de travailleurs humanitaires transportant des vaccins ? Certaines agences de développement s’emparent des technologies qui alimentent nos rêves de pilotage autonome pour les mettre au service de l’éthique, de l’environnement, de la santé publique et de la justice sociale11. Toutefois, il est difficile d’utiliser les cartes pour lutter contre les inégalités structurelles lorsque les données géospatiales ne sont pas équitablement distribuées – et tel est souvent le cas dans les pays les plus pauvres, où les informations de base sont rares, ou bien disponibles sous une forme qui n’est pas accessible à ceux qui prennent les décisions d’aide au développementFig. 6Fig. 7. […]
Créé par des chercheurs du MIT et de Harvard, le système Streetchange recourt à l’IA pour établir des corrélations entre les changements visibles dans l’apparence des villes, d’un côté, et, de l’autre, les variations économiques, démographiques, ou « l’amélioration » de certains quartiers12. Si l’intérêt de telles pistes de recherche est indéniable, il faut aussi rappeler que les caractéristiques de la « pauvreté » – et sa sensibilité à de multiples causes – dépassent largement ce qu’un satellite est capable de fixer en images. La pauvreté vécue recèle infiniment plus de nuances que sa version calculée par un réseau de neurones. Ce serait une erreur que d’envisager l’urbanisme comme un « langage de modèles13 » algorithmiques ; il y a plus à voir, dans un plan de ville, qu’un agrégat de caractéristiques spatiales interprétées par une IA selon leur rapport à la « richesse »Fig. 8.[…]
C’est pourquoi il faut recourir à une diversité d’yeux, d’oreilles, de mains, de capteurs, de cerveaux, qu’ils soient mécaniques ou manuels, digitaux ou analogues, machiniques ou humains… pour enrichir ces recherches.
Les Altérités intelligentes de la cartographie
[…] Reconnaître l’existence propre d’une population invisibilisée dans l’histoire en la rendant visible sur une carte : voilà un noble geste. Mais cette visibilité peut s’accompagner d’une vulnérabilité accrue à la violence ou à l’exploitation. Face à ces Autres humains si longtemps absents de nos ensembles de données cartographiques, nous dégainons désormais des astuces méthodologiques, nous avons recours à des médiations lisibles par les machines, afin de les rendre transcriptibles sur nos cartes. Prenons garde à ne pas assimiler les plus démunis aux toits de tôle qui les abritent. Il est bien entendu que l’histoire des cartes se confond souvent avec celles de la gestion étatique et du colonialisme, de la revendication de terres autres et de l’éradication de peuples autres14. Face à cela, des groupes indigènes ont également mobilisé les outils de la cartographie pour « réaffirmer leur souveraineté sur les terres, négocier les droits aborigènes et reconquérir leur dignité en s’opposant aux gouvernements et aux institutions », selon le cartographe Sébastien Caquard15. Ce faisant, ils ont souvent adopté les pratiques géospatiales des colons pour faire aboutir leurs revendications territoriales, tout en se protégeant de l’appropriation foncière et des processus d’extraction des ressources. La vue verticale par satellite, le système de coordonnées GPS, et même les points, lignes et surfaces euclidiens, sont autant de principes qui ne sont pas toujours superposables aux manières dont les cultures traditionnelles envisagent leur environnement ou interagissent avec lui. « Le processus de cartographie, démontrait Nancy Lee Peluso dans un article de 1995 qui a fait date, force presque à interpréter les droits coutumiers aux ressources au niveau territorial, changeant de ce fait tant la revendication elle-même que sa représentation16. » Plutôt que d’incorporer l’Autre comme un simple élément de la carte, nous devrions nous pencher sérieusement sur les manières d’Altériser la subjectivité cartographique, et reconnaître que les Autres ont développé leurs propres pratiques, hors des conventions occidentales, en matière de plans. Il suffit de regarder les cartes côtières en bois réalisées par les communautés inuites du Groenland, les cartes à bâtonnets des habitants des îles MarshallFig. 9, les pétroglyphes des peuples indigènes d’Amérique du Nord, ou encore les chemins de rêve chez les Aborigènes d’Australie. Tous reflètent des approches singulières de la perception, de l’orientation, de l’habitat, du lien, de l’usage, et de la capacité à trouver du sens dans son environnement17. […]
Ces cartes à bâtonnets témoignent de la capacité qu’avaient les navigateurs des îles Marshall à identifier des îles à proximité : ils repéraient des perturbations dans les schèmes de la houle océanique. Une telle approche cartographique basée sur la réfraction des vagues pourrait bien être considérée comme un antécédent analogique des machines sensorielles actuelles tels que le sonar et le Lidar. […]
L’anthropologue Stefan Helmreich étudie les différentes significations qu’ont les ondes pour les cosmologistes, les cardiologues, les artistes, les océanographes, les surfeurs, les économistes et les experts en théorie sociale. Les ondes océaniques, c’est-à-dire les vagues, ont une forme et peuvent être représentées sur un plan ; mais elles ont aussi leurs spécificités géographiques, leurs contours culturels et leurs connotations politiques. De la même manière que l’on apprend aux voitures automatisées à interpréter la « sûreté » et aux systèmes d’apprentissage automatique à définir la « pauvreté » dans leurs opérations, les ondes que l’on nomme « vagues » sont mesurées, mises en paramètres et modélisées grâce à des bouées à capteurs et à des simulations informatiques. Et ces modèles, ces cartes des vagues, ont pour référentiel principal les océans de l’hémisphère Nord qui disposent déjà de nombreux instruments de mesure. Les océans du Sud, tout comme les cultures terrestres du Sud en général, sont généralement mal documentés et « pauvres en data » – bien qu’ils constituent un environnement incroyablement varié et complet. […]
Watson et Huntington18 interpellent les chercheurs et cartographes de l’environnement afin que l’apport des communautés indigènes dans leurs théories cesse de n’être qu’un apport de « couleur locale », et que les savoirs autres soient reconnus comme étant valables et précieux, épistémologiquement et ontologiquement19. […]
Les non-humains, agents de la cartographie
[…] Les agents non humains – que l’on pense aux capteurs Lidar, aux drones ou aux robots de traçage – peuvent jouer un rôle crucial dans l’entreprise cartographique. Cependant, l’Autre non humain est aussi un agent dans les paysages mêmes que l’on essaie de cartographier. Le poisson et les vagues dominent les épistémologies du paysage maritime dans les îles du Pacifique ; les plans des Inuits sont façonnés autour de la glace et des pistes de chasse ; la faune et la flore sont omniprésentes dans les imaginaires paysagers des défenseurs de l’environnement autant que des industries extractives. Dans la plupart des schémas occidentaux, les Autres non humains (animaux, plantes, minéraux) sont figurés comme des ressources à exploiter, des choses que l’on mange, que l’on extrait, que l’on admire dans un parc national. Mais aujourd’hui convergent plusieurs modes de pensée nouveaux – les études de l’Anthropocène, les nouvelles ontologies relationnelles, les acteurs-réseaux de Bruno Latour, l’éthique féministe ou encore ce que Donna Haraway décrit comme la pensée « SF » (la science-fiction, la narration spéculative ou spéculation fabulatrice, les figures de ficelles, le souffle féministe, les faits de science, faire suite). Cela a incité plusieurs cartographes contemporains à se représenter ces Autres non pas comme des ressources humaines, mais comme des entités également légitimes pour revendiquer les paysages qu’elles habitent, et possédant leur propre intelligence spatiale20. […]
D’une certaine manière, les animaux aussi sont des cartographes. Ils mobilisent leurs cartes cognitives pour migrer, chercher de la nourriture, prélever le nectar, délimiter leur territoire, se disperser, éviter les prédateurs, et ainsi de suite21. Au cours de l’évolution, ils ont perfectionné leurs sens pour améliorer leur perception et leur mémoire spatiales : les chauves-souris recourent à l’écholocalisation, les abeilles à l’odorat et les poissons à l’électroperception. Certains chercheurs avancent que les chimpanzés sont capables de représenter une zone de forêt en plan euclidien aussi bien qu’en mode topographique22. Les plasmodes se servent de leurs traces de mucus pour se remémorer leur trajet. Même la « timidité des cimes » de certaines espèces d’arbres, c’est-à-dire le fait de conserver des espaces entre leurs feuilles dans la canopée, « pourrait être vue comme une striation de l’espace semblable à celle d’une carte, une sorte de territorialisation23 ». L’espace animal est « un espace vécu, multisensoriel », explique Dennis Skocz, et pas plus les SIG que d’autres techniques conventionnelles de cartographie ne sont correctement équipés pour les représenter24. Évidemment, nous autres humains ne pourrons jamais savoir « [ce que c’est] qu’être une chauve-souris », comme nous le rappelle le philosophe Thomas Nagel25. S’atteler à représenter, observer ou incarner une subjectivité non humaine implique de traduire cette expérience à travers nos sens, nos esprits humains. Pourtant, il est indéniable que ces Autres « ont des perceptions aussi riches en détails que les nôtres ». En reconnaissant que nos terrains cartographiques sont aussi les leurs, et que leur appréhension de l’espace est riche et pertinente – y compris pour le contraste révélateur qu’elle met en regard de la nôtre –, nous pourrons apprécier l’incommensurable diversité de nos environnements. […]
Cartographier intelligemment
On attribue aux éléphants une excellente mémoire spatiale. Si le fait est depuis longtemps attesté par les observations comportementales, des scientifiques ont récemment corroboré ces preuves empiriques en équipant les pachydermes de colliers géolocalisés ; ils ont ainsi suivi leurs déplacements en direction de points d’eau situés à grande distance les uns des autres, sur des terrains peu différenciés26. Plus nous disposerons de capteurs perfectionnés, de technologies de spatialisation accessibles et puissantes, plus nous verrons émerger ce genre d’études. Avec l’aide de l’imagerie aérienne, du GPS, de jumelles et d’enregistreurs audio, nous sommes désormais en mesure de cartographier à l’envi les éléphants, les réfugiés, les icebergs et les véhicules Uber. Pour ce faire, il nous faut garder un esprit critique et clarifier nos intentions, sans oublier que ces sujets et agents possèdent leurs propres géographies et leurs sensibilités spatiales, tout comme les instruments que nous utilisons pour les cartographier. Nous recourons de plus en plus à la perception machinique artificiellement intelligente, censée être plus objective, plus efficace, plus complète et plus fiable pour observer et s’orienter. Avec ces machines, nous façonnons les protocoles et les politiques d’interaction que nous adoptons face aux êtres divers qui partagent nos terrains cartographiques. Cependant, nous ne devons jamais oublier que ces instruments de calcul ont une manière différente de définir opérationnellement l’espace – différente entre eux et différente de celle des autres « espèces » d’agents intelligents, y compris la nôtre. Les drones comme les libellules perçoivent l’espace et s’y déplacent de manière unique et singulière. Le sonar et le Lidar construisent des terrains empiriques distincts en matérialisant leur environnement par le son ou la lumière. Les satellites englobent les réalités terrestres pour en faire des motifs généraux abstraits : à 1000 kilomètres de haut, le dénuement s’exprime géographiquement sous la forme d’une parcelle de toits de tôle.
Ces nouveaux agents artificiellement intelligents bénéficient certainement aux secteurs du transport et de la logistique, dont ils améliorent l’efficacité. Ils peuvent sans doute démontrer comment certains groupes humains ont gâché notre planète, et comment nous pouvons la réparer. Malgré tout, ni les intelligences informatiques ni les nôtres ne sont les seules à être concernées par l’évolution du monde. Il est temps d’intégrer les milliers d’agents intelligents qui nous entourent, pas seulement sur nos plans, mais aussi dans nos méthodes cartographiques. Choisissons judicieusement nos outils et nos pratiques, soyons conscients de leurs usages et de leurs limites, sensibles à leur mode de connaissance du monde – attentifs à la manière dont ils consignent et transmettent l’environnement tel que ses habitants intelligents l’investissent et le connaissent. Dans l’idéal, il faudrait équilibrer les modes de connaissance, juxtaposer différentes pratiques de production du savoir : la science occidentale et les épistémologies indigènes, les ontologies humaines et celles des autres espèces, l’expérience des lieux et leur représentation par voies mécanique ou organique, le rationalisme et l’empirisme cartographiques, la prospective et la rétrospection. Aucune super-carte n’est capable d’intégrer l’ensemble de ces subjectivités ni de ces sensibilités. C’est pourquoi nous pouvons espérer tendre plutôt vers la constitution d’un atlas, une compilation de toutes les facettes de la cartographie, qui invite à l’appréciation comparée des manières dont notre monde est connu – et inconnu.