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Design for the Real World: Preface to the Second Edition

Commentaire du texte de Victor Papanek

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Dès 1983, à l’occasion d’un travail de réédition de « Design pour un monde réel », Victor Papanek (1923-1998) décide d’y apporter quelques conséquentes modifications sans vraiment s’en justifier. Si les changements concernent essentiellement des remaniements de chapitres, d’intitulés ou encore d’exemples pour réactualiser un propos qui a plus de dix ans, les modifications plus significatives tiennent dans la nouvelle préface de l’auteur. L’un des premiers remaniements qu’il opère dans cette réédition est la suppression de la préface de Richard Buckminster Fuller, décédé la même année. En effet, à partir de la seconde édition de son œuvre majeure, Victor Papanek n’a de cesse de souligner sa position divergente vis-à-vis de son ami alors qu’il ne fait aucun doute qu’il s’est d’abord conformé à ses idées avant de s’en distinguer. Commentaire du texte de Victor Papanek.

De quelques aveux et remaniements

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Dès 1983, à l’occasion d’un travail de réédition de Design pour un monde réel1, Victor Papanek décide d’y apporter quelques conséquentes modifications sans vraiment s’en justifier. Si les changements concernent essentiellement des remaniements de chapitres, d’intitulés ou encore d’exemples pour réactualiser un propos qui a plus de dix ans, les modifications plus significatives tiennent dans la nouvelle préface de l’auteur. Dès les premières lignes, Victor Papanek célèbre son sens du sacrifice. Il se dépeint comme un martyr ayant subi des pressions professionnelles, rejeté par de nombreux éditeurs et censuré, pendant plusieurs années, lors d’événements publics aux États-Unis notamment. Ses critiques acerbes à l’encontre d’un design instigateur des désirs de la société de consommation lui vaudront cependant la reconnaissance de Gui Bonsiepe qui lui accorde un certain courage sans néanmoins partager ses opinions. Malgré les obstacles rencontrés pour la première édition, il se félicite du succès de sa réception et des liens évidents avec les parutions de Future Shock d’Alvin Toffler et Small Is Beautiful2 d’Ernst Friedrich3 Schumacher. Il invoque même une « importante communauté autour de ces trois volumes4 » avec comme principes fondateurs la pensée des alternatives et le respect d’un équilibre des ressources naturelles.

L’un des premiers remaniements qu’il opère dans cette réédition est la suppression de la préface de Richard Buckminster Fuller, décédé la même année. En effet, à partir de la seconde édition de son œuvre majeure, Victor Papanek n’a de cesse de souligner sa position divergente vis-à-vis de son ami alors qu’il ne fait aucun doute qu’il s’est d’abord conformé à ses idées avant de s’en distinguer. À l’instar du rejet de la compétence experte – la spécialisation – ou encore de l’idée d’un « International Council of Anticipatory Comprehensive Design » dont Victor Papanek aurait fait emprunt au « trésor intellectuel » de Fuller, ironise Gui Bonsiepe dans sa critique5, il y a bien convergence idéologique. Néanmoins, dans sa nouvelle préface, Victor Papanek se résout à l’évidence qu’une révolution constructive et coopérative du monde ne peut pas être orchestrée selon une échelle globale car « rien de gros ne fonctionne6 ». Même s’il ne s’exprime pas clairement sur son choix de supprimer la préface de Fuller, la raison d’une divergence de pensée est confirmée publiquement en juin 1992, lors d’une présentation pour Apple qu’il intitule « Microbes in the Tower7 ». Victor Papanek rappelle, assez tôt dans son discours, que contrairement à « Bucky [qui] pensait que la solution technologique était la réponse ; en d’autres termes, tout ce qui était technologiquement mauvais pouvait être réparé par de plus en plus de technologie, [c’est] un point de vue [qu’il se] trouve incapable de partager8 ». Cette impossibilité de concilier une technologie toujours plus accrue avec ce qu’il défendait, c’est-à-dire une conception centrée sur l’humain donc participative, intègre, éthique et souvent bricolée, l’a certainement convaincu, douze ans plus tard, de retirer les propos de son ami. Et ainsi, sa méfiance grandissante envers une pratique du design centrée sur la technologie l’amène à rédiger, la même année, Design for Human Scale9.

Ce n’est pas sans lien avec la rédaction de cet ouvrage ainsi qu’avec les critiques qu’il reçoit, dont celle de Gui Bonsiepe, s’il reconnaît une première édition quelque peu naïve avec le recours à un design social international à sens unique qui consistait à faire appel aux designers formés dans les pays industrialisés. Lors de sa participation au symposium de l’ICSID à Londres en avril 197610, quelques années après l’édition de 1971 et quelques années avant la réédition en 1984, Victor Papanek admet que la facilité à expérimenter une économie politique dans le Tiers Monde11 est proportionnelle au degré de victimisation et d’exploitation. Il regrette d’ailleurs que le choix des destinations par les volontaires occidentaux se fasse, souligne-t-il, selon un confort attendu et admet s’être remis en question vis-à-vis de ses activités de designer, mais s’il justifie ses erreurs par naïveté, cependant, il se défend des accusations d’infiltration et de contrôle stratégique des populations du Tiers Monde. Depuis sa seconde édition, il promeut l’image d’une route à double sens lui permettant d’expliquer combien, contrairement à ses premières opinions, les designers occidentaux avaient à apprendre des populations du Tiers Monde et notamment concernant leurs pratiques de recyclage, de réutilisation, de basses technologies et d’adaptation à un environnement souvent plus hostile. Il en déduisait que son aide concernait moins les populations vulnérables que les populations les plus aisées lorsqu’il dispensait ensuite, dans plusieurs écoles internationales de design, conférences et enseignements sur ce qu’il avait vu et appris. Cette mise au point lui apporte la conviction que le problème n’est fondamentalement pas celui de la fracture entre les pays riches et les pays pauvres, ou celui d’un modèle de gouvernance, qu’il soit communiste ou capitaliste, mais de « […] l’interface entre le design et les personnes12 » c’est-à-dire, du souci véritable de l’autre.


  1. Victor PAPANEK. Design for the Real World: Human ecology and social change, seconde édition complètement révisée avec 121 illustrations. Londres : Thames & Hudson, 1984.↩︎

  2. Ernst Friedrich SCHUMACHER. Small is Beautiful: A Study of Economics as if People Mattered. Londres : Blond & Briggs, 1973.↩︎

  3. Lorsque Victor Papanek cite « son ami », il est écrit sans erreur « Fritz » Schumacher, abréviation de « Ernst Friedrich ». À ne pas confondre avec Fritz Schumacher (1869-1947), architecte cofondateur du Deutscher Werkbund.↩︎

  4. Victor PAPANEK, op. cit., p. xvi.↩︎

  5. Gui BONSIEPE. « Gui Bonsiepe: Review of Design for the Real World by Victor Papanek », traduction anglaise d’Anke Grundel [à partir de Gui BONSIEPE. « Design e sottosviluppo », Casabella, n° 385, janvier 1974, p. 42-44], in Lara PENIN (dir.). The Disobedience of Design. Gui Bonsiepe. Londres : Bloomsbury, 2022, p. 341.↩︎

  6. Victor PAPANEK, op. cit., p. xvi.↩︎

  7. Victor PAPANEK. « Microbes in the Tower. Dangers and Rewards in a Technological Age » conférence pour Apple Computer, 12 juin 1992.↩︎

  8. Idem, 7:47-8:03. En ligne : https://sites.google.com/site/humancenteredactionresearch/section-1-victor-papanek-s-research.↩︎

  9. Victor PAPANEK. Design for Human Scale. New York : Van Nostrand Reinhold Co., 1983.↩︎

  10. Les actes du Symposium ont fait l’objet d’une anthologie : Julian BICKNELL et Liz McQUISTON [The Royal College of Art] (dir.). Design for Need, The Social Contribution of Design. Oxford, New York, Toronto, Sydney, Paris, Francfort ; Pergamon Press - ICSID, 1977.↩︎

  11. La dénomination « Tiers Monde » est utilisée pour rester fidèle au contexte historique.↩︎

  12. Victor PAPANEK. « Twelve Methodologies for Design – Because People Count* », in Julian BICKNELL et Liz McQUISTON, Design for Need, The Social Contribution of Design, op. cit.*, p. 120.↩︎