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2006 Research and Destroy: Graphic Design as Investigation.

Commentaire du texte de Daniel van der Velden

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« Research & Destroy – A Plea for Design as Research » est un essai du designer graphique Daniel van der Velden publié pour la première fois dans le numéro 2 de la revue néerlandaise « Metropolis M » en 2006. En partant du constat de la dégradation des conditions matérielles d’exercice des designers en Europe soumis à une concurrence internationale, van der Velden propose – du point de vue privilégié néerlandais – d’affirmer une pratique du design graphique par la recherche et dans une dynamique de construction de connaissances. Commentaire du texte de Daniel van der Velden.

En 2005 et 2006 Daniel van der Velden présente le texte « Research & Destroy – A Plea for Design as Research », respectivement au Beursschouwburg à Bruxelles et à la Jan van Eyck Academie à Maastricht. Cet essai sera édité dans le numéro 2 de la revue néerlandaise Metropolis M en 2006 ainsi que dans le catalogue From Graphic Design: Now in Production (Theory and practice seminar) en 2011 Fig. 1. Dans ce texte, Daniel van der Velden explique que le design, à la fois motivé par le développement des outils numériques et soumis aux injonctions esthétiques du système néolibéral, a atteint un nouveau point de tension qui oblige à mettre à jour ses modèles de travail.

Deux parties structurent son exposé. Une première dans laquelle il analyse la photo d’un navire de l’association Sea Shepherd prêt à arrêter le bateau japonais Nisshin Maru, dernier « bateau-usine » dédié à la chasse à la baleine et la fabrication en mer de conserves Fig. 2. Van der Velden compare l’utilisation faite par le baleinier du terme « Research » peint sur la coque du bateau pour contourner l’interdiction commerciale de pêche à ce qui « pourrait arriver dans le milieu de l’art et du design », à savoir une instrumentalisation de la recherche à des fins commerciales. Si la révolution numérique a ouvert le champ des pratiques du design vers l’écriture, la critique, la collaboration, etc., et a fait des designers des concepteurs-créateurs, elle bouleverse aussi leur rapport à la production et fait courir le risque d’une « immatérialité », voire d’une invisibilité de leur travail, s’inquiète van der Velden.

La deuxième partie du texte remet en cause l’image traditionnelle du design graphique qui, construite souvent par inversion ou négation par rapport à d’autres disciplines – le designer n’est pas un écrivain, un réalisateur1… –, circonscrit la pratique à un ensemble de gestes très réduits. Sa démonstration prend appui sur une citation de l’architecte et designer argentin Emilio Ambasz extraite du catalogue de l’exposition Italy: The New Domestic Landscape – Achievements and Problems of Italian Design publié en 1972 Fig. 3, dans laquelle il remet en question le paradigme historique qui consiste à penser que le design répond à un problème produit par la société. En réaction, il introduit l’idée d’un contre-design dans lequel le designer n’intervient pas seulement comme celui qui trouve une solution – à la fin du projet –, mais plutôt comme celui qui élabore en amont, par le biais d’autres modes d’appréhension des connaissances, un terrain de travail. Cette idée impliquerait de la part du designer des activités conjointes de documentation, d’analyse, de réflexion, de collaboration et de production. Avec cette proposition, Van der Velden remet à jour une discussion qui court au sein du mouvement des Design Methods entre la fin des années 1960 et le début des années 1970 sur la position du design face à la notion de problème. D’un côté, certains chercheurs plaident pour une « science du design » qui consisterait à engager les designers dans une démarche de « résolution de problèmes2 » ; de l’autre, et à la suite de la publication par Horst Rittel et Melvin Webber de l’article « Dilemmas in a General Theory of Planning », il est établi que les problèmes de design répondent à certaines spécificités3 qui obligeraient le designer à travailler en collaboration avec tous les acteurs d’un projet en prenant part à la définition du problème. Dans la continuité de ce raisonnement, van der Velden propose d’identifier le designer comme un « développeur » dont l’activité, libérée de la relation intime avec l’idée de solution matérielle, pourrait participer à la construction de connaissances propres à son domaine. L’emploi de ce terme, emprunté au domaine de l’informatique et des technologies du Web, permet de faire un pas de côté avec l’idée du designer-chercheur qui connote trop fortement son rattachement à la recherche universitaire. Il renvoie davantage à l’idée d’un designer « concepteur » tel que défini en 1992 par Otl Aicher en opposition à la figure du « fonctionnaire », comme un individu qui « en projetant, en concevant […] se révèle à lui-même4 ». La remise à jour de cette opposition entre conception et exécution est d’autant plus intéressante aujourd’hui que le métier de designer se trouve à nouveau ébranlé par le développement du machine learning, comme l’explique Anthony Masure :

Le deep learning pourrait modifier la chaîne de valeur du design en réduisant le coût de l’exécution (diminution de la valeur perçue), et en augmentant celui du conseil (difficilement modélisable et donc automatisable). On pourrait même arriver à une partition entre d’un côté un design « d’élite » avec des commandes à forte valeur ajoutée où une grande part de liberté et d’originalité est attendue (comme dans le cas du secteur culturel), et de l’autre côté un design « moyen » où des IA prennent en charge des commandes stéréotypées, avec un risque de déclassement des designers occupant ce segment5.

Si le propos de van der Velden interroge en premier temps sur les risques d’une injonction à la recherche telle qu’on l’a observée dans le milieu de l’art depuis la fin du xxe siècle6, il propose, en amenant les idées de développement et d’investigation dans la pratique actuelle, de réfléchir à un modèle durable de design tourné vers des questions de société et soutenu par la technique autant que les idées.

Bibliography

Books

DELACOURT, Sandra, Katia SCHNELLER and Vanessa THEODOROPOULOU. Le Chercheur et ses doubles. Paris: B42, 2016.

MASURE, Anthony. Design sous artifice : la création au risque du machine learning. Geneva: Head Publishing, coll. “Manifestes”, 2023.

NEGRI, Toni and Michael HARDT. Empire. Harvard: Harvard University Press, 2000.

SIMON, Herbert. Les sciences de l’artificiel [1969]. Paris: Gallimard, 2004.

VAN WINKEL, Camiel. Het primaat van de zichtbaarheid. Rotterdam: NAi Publishers, 2005.

Chapters or articles in a book or a journal

LANG, Peter. “Superstudio’s Last Stand, 1972–1978”, in Valentijn BYVANCK (ed.). Superstudio: The Middelburg Lectures. Middelburg, The Netherlands: Zeeuws Museum, 2005.

LENTJES, Ewan. “Ontwerpers zijn geen denkers”, Items 6, 2003.

VAN DER VELDEN, Daniel. “Research and Destroy: Graphic Design as Investigation” [2005], in Graphic Design: Now in Production. New York: Walker Art Center, 2012.

VIAL, Stéphane. “Qu’est-ce que la recherche en design ? Introduction aux sciences du design”, Sciences du Design, 2015/1, p. 22-36.

WARDE, Beatrice. “The Crystal Goblet or Printing Should Be Invisible”, in The Crystal Goblet, Sixteen Essays on Typography. Cleveland: World Publishing Company, 1956.