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De la ville à l’objet. Les aventures du graphisme dans les expositions du CCI

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L’exposition des communications visuelles au Centre de création industrielle a posé aux organisateurs de ces manifestations des questions délicates de scénographie, c’est-à-dire de présentation, spatiale, des objets et des informations. Comment montrer des objets dont la taille va de l’affiche au timbre-poste ? Comment exposer les liens de ces objets à leur contexte urbain, social, historique ? Comment donner à voir les questions de société que charrient avec elles les images publicitaires, et celles qu’émettent les institutions et organismes publics ? À ces questions le CCI a apporté des réponses qui ont évolué au cours de sa vingtaine d’années d’existence. Au travers de quelques cas significatifs d’expositions consacrées au graphisme (en totalité ou en partie) nous verrons à l’œuvre la progressive transformation du « programme » du CCI et l’emprise de plus en plus forte du muséal sur une institution qui se pensait, à tout prix, comme un « anti-musée ».

Panneaux

Le 3 décembre 1970, le Centre de création industrielle (CCI) inaugure sous la grande voûte des Halles Baltard, promises à la démolition, une exposition intitulée La rue, l’espace collectif, ses signes, son mobilier (Fig. 1). Ce n’est pas la première exposition que le Centre organise dans cet espace, qui lui permet de mettre en place des installations plus généreuses que dans les petites salles du musée des Arts décoratifs, où le CCI a vu le jour un an plus tôt. L’exposition aborde la question du design dans le cadre très large de la ville, de sa planification, de son appropriation par les citoyens. L’approche se veut la plus large possible, embrassant, comme le CCI prétend le faire à l’époque, « l’environnement », « le cadre de vie » et ce qu’il résumera bientôt par la triade « les espaces, les objets et les signes1 ». Il est donc question, dans cette exposition, à la fois d’urbanisme (au sens le plus large : architecture, transports), du design du mobilier urbain et, en ce qui concerne ce que le CCI appelle alors « les communications visuelles », de la signalétique. Ce dernier aspect se trouve évoqué au travers d’une présentation originale et assez spectaculaire : des panneaux de signalisation de toutes sortes, groupés en une petite forêt de panneaux, tournant dans toutes les directions leurs faces autoritaires et adressant aux visiteurs le brouhaha de leurs consignes verbales (« Interdit aux piétons », « Fin d’autorisation de stationnement », « STOP ») ou non verbales (flèches, croix, barres) (Fig. 2). Le dispositif scénographique est très parlant : en démontrant l’anarchie visuelle à laquelle sont confrontés les citadins, il invite à réfléchir sur la nécessité de systèmes clairs, lisibles et cohérents2.

Ce propos se trouve formulé plus explicitement, trois ans plus tard, en décembre 1973, dans l’exposition De l’objet à la ville (à laquelle cet article emprunte, en le renversant, son titre)3. On y retombe, pour ainsi dire, dans le « panneau », mais sous une autre forme. Comme nombre d’expositions du CCI à l’époque, l’exposition adopte la forme d’une série de tableaux explicatifs associant textes et images (Fig. 3 et Fig. 4). Une dizaine de panneaux de De l’objet à la ville sont consacrés aux « signes dans la ville » : panneaux de signalisation routière (encore eux), mais aussi panneaux publicitaires, enseignes… À la demande de Margo Rouard, désignée comme « chef de projet » dans le catalogue, c’est Jean-Paul Céalis, un ancien élève (un « stagiaire » comme le voulait la terminologie de cette école singulière) de l’Institut de l’Environnement où la sémiologie était enseignée4, qui a dressé cet inventaire photographique et rédigé les commentaires des images, lesquels insistent sur l’expérience (visuelle, cognitive) que le citadin fait de ces signes. En se passant des objets « en chair et en os », en les remplaçant par des reproductions photographiques qui les présentent dans leur contexte (les photographies de Céalis, non détourées, montrent les panneaux dans leur décor de rues et de routes), le dispositif de l’exposition sous forme de panneaux intègre les communications visuelles à un discours analytique, théorique, qui cherche à donner forme au concept d’« environnement », cher au CCI.

Dans un texte que nous avons consacré à une autre exposition de Margo Rouard, Qu’est-ce qu’une campagne publicitaire ? (1975), nous montrons qu’elle peut être vue comme un livre déplié dans l’espace – interprétation que confirme le fait que le catalogue avait été réalisé en reproduisant simplement les panneaux, réduits à la taille d’une page5. Préparée en collaboration avec le collectif Grapus6, cette exposition, montrée dans différentes villes françaises à partir de 1975, s’attaque vigoureusement à la publicité, son économie, l’artificialité de ses images, son emprise sur les mentalités, individuelles et collectives (Fig. 5). Il est difficile d’imaginer qu’un visiteur ait pu ou voulu lire tous les textes de cette exposition assez bavarde. On sait depuis longtemps que l’espace d’exposition, espace de circulation où l’on se tient debout, est peu propice à la lecture. La plupart des articles de presse consacrés à la manifestation soulignent d’ailleurs la densité du propos, perçue par certains journalistes comme un peu scolaire et « rébarbative7 ». Conscients sans doute de ce risque, les graphistes de Grapus, qui avaient été chargés de la conception graphique des panneaux – et qui étaient eux-mêmes de farouches antipub – ont su apporter un contrepoint visuel, dans des panneaux où le propos s’incarne moins par le texte, et plutôt par l’image, au moyen notamment du photomontage ou de la confrontation d’images Fig. 6.

Les expositions sous forme de panneaux ont constitué pour le CCI un dispositif scénographique matériellement très commode, à un moment où il ne possède pas encore de locaux propres – mais est en train de négocier son intégration au projet du futur Centre Beaubourg8. Elles font aussi la promesse – dans l’air du temps – de décentraliser la culture, en proposant ces expositions à l’itinérance en province : bibliothèques, MJC, centres culturels, etc. S’adaptant à des espaces aux configurations imprévisibles, les panneaux se fixent aux cloisons et murs existants, et peuvent même, avec des systèmes très simples de piètement, être installés dans un espace vide pour le structurer en travées où circulera le visiteur. Qu’est-ce qu’une campagne publicitaire ? fut ainsi l’occasion, pour le designer suisse Gérard Ifert, d’imaginer un modèle de grille autoportante utilisable pour tout type d’accrochage, par la suite fabriqué et commercialisé par la firme Caddie9. On voit là que l’approche pluridisciplinaire du CCI, son ambition de faire dialoguer architecture, design d’objet et graphisme, se manifestent et se jouent aussi autour de la scénographie – dont il est évident qu’elle entremêle « les espaces, les objets et les signes ».

Le dispositif est, en outre, très adapté au projet didactique qui est le sien dans ses premières années et qui rappelle qu’avant d’être un lieu d’exposition du design, le CCI se pense comme un centre d’étude, de réflexion sur le design, acteur de sa promotion. Qu’est-ce que le design ? (1969), Qu’est-ce qu’une campagne publicitaire ? (1975), Qui décide de la ville ? (1977) : pour répondre à ces questions qui sont les titres de quelques-unes de ses expositions, les objets ne sauraient suffire : il faut en passer par le texte, par les mots, au risque de se montrer un peu bavard…

Décors

C’est une toute autre approche qui gouverne la scénographie des « communications visuelles » dans les expositions pluridisciplinaires organisées par le Centre Pompidou, et auxquelles le CCI, devenu l’un de ses départements, est invité à participer. Paris-Berlin (1978), Paris-Moscou (1979) doivent démontrer la puissance de la raffinerie Beaubourg et les possibilités offertes par la réunion, en son sein, d’un musée, d’une bibliothèque, d’un centre de design, d’équipements pour la musique, le spectacle, le cinéma… Le comparatisme international et la pluridisciplinarité participent d’une même entreprise de décentrement du regard, l’invitation à resituer les œuvres les unes par rapport aux autres10. Le CCI semble peu à l’aise dans le rôle qui lui est assigné par les scénarios de ces deux expositions – élaborés en grande partie par les conservateurs du musée national d’Art moderne. Lui qui prétend contribuer au présent à la création en design, étudier des phénomènes contemporains, se trouve chargé d’évoquer le cadre de vie des décennies passées (architecture, mobilier) au travers d’objets de patrimoine qu’il doit, faute de collection, emprunter à d’autres institutions. Les « communications visuelles » sont essentiellement représentées au travers du genre de l’affiche qui pose des problèmes scénographiques d’autant plus lourds que les affiches sont anciennes : obligation de recouvrir le papier par un verre afin de maintenir à plat le papier et le protéger, sensibilité à la lumière, contraintes diverses fixées par les organismes prêteurs de ces affiches. Difficile, dans ces conditions, de redonner à l’affiche sa puissance de choc visuel, le caractère vivant qui était le sien, son lien à un contexte social. Reste, bien souvent, l’impression – d’ailleurs non dénuée de charme – d’avoir devant soi la dépouille d’un monde disparu.

Dans les sections dont il est chargé, le CCI s’efforce, pour échapper à cette triste fossilisation, de montrer les affiches parmi d’autres objets. Dans Paris-Berlin (1978), cela prend la forme de petites présentations qui s’apparentent, de manière plus épurée, aux period rooms des musées d’arts décoratifs. Au-dessus de quelques meubles Art déco, quelques affiches de Cassandre et Paul Colin sont accrochées comme des tableaux dans un appartement bourgeois (Fig. 7). L’affiche y est partie prenante d’un décor, qui n’est plus celui de la ville mais du salon. Le dispositif est artificiel mais visuellement attrayant. Il fait voir les correspondances formelles entre différents types d’objets : lignes courbes de l’Art nouveau, formes cubistes de l’Art déco. On perçoit en tout cas que les liens pluridisciplinaires qui s’établissent entre « les espaces, les objets et les signes », entre l’architecture, le design et le graphisme, ne sont plus ici abordés en termes sociologiques ou politiques, la perspective historique venant mettre en suspens le projet militant du CCI sur les questions d’aménagement du cadre de vie.

Une même entreprise de démystification aurait pourtant pu être menée sur ces objets de la même manière qu’elle l’était sur les objets contemporains. On l’attendait, par exemple, sur des objets plus ouvertement « politiques » comme les affiches russes montrées dans Paris-Moscou, en 1979. La manifestation avait été préparée en collaboration étroite avec les autorités culturelles soviétiques – Paris-Moscou devant connaître une déclinaison en miroir, l’année suivante, pour le public moscovite – et les commissaires d’exposition du Centre s’étaient fait prêter (et, disons-le, imposer) un très grand nombre d’affiches de l’époque révolutionnaire11. Problème : on n’avait plus de place, sur les cimaises, pour toutes les exposer. Jacqueline Costa, qu’on avait chargée au CCI de prendre en charge les sections « vie quotidienne » de l’exposition, eut l’idée, avec le scénographe Jacques Lichnerowicz, de les suspendre au-dessus de l’allée centrale (Fig. 8). Celle-ci dessinait une grande perspective en travers du vaste plateau du dernier étage du Centre Pompidou. Cette grande « rue », comme l’appellent les organisateurs, était ponctuée, en son centre, d’une place où trônait la gigantesque maquette du Monument à la IIIe Internationale de Tatline, édifiée d’après les dessins de l’artiste. Tout autour de la place, des vitrines évoquaient celles de magasins présentant des objets d’arts décoratifs mais aussi les fameuses « fenêtres ROSTA » (affichettes illustrées de caricatures diffusées par la compagnie de télégraphe éponyme). Des reconstitutions de kiosques aux volets pivotants, imaginés par le constructiviste Gustave Kloutsis, présentaient d’autres affiches. Dans son ensemble, la scénographie imite, lit-on dans le dossier de presse, « une rue pavoisée » comme lors des défilés et des manifestations d’agit-prop12 (Fig. 9). Décor, encore, qui dit assez peu de choses de la place de ces affiches dans la société révolutionnaire, de la manière dont elles étaient perçues, lues, reçues (il aurait suffi de rappeler, par exemple, qu’en 1917 une grande partie de la population russe était analphabète !)13.

Dans ces expositions qui ne sont pas exclusivement ni directement son œuvre, le CCI se confronte à l’histoire de l’architecture, du design, du graphisme (qui ne faisait absolument pas partie de son programme initial) ; mais aussi et surtout à la matérialité d’objets « en chair et en os ». Inévitablement, la scénographie y est plus complexe que celle des expositions sous forme de panneaux. Elle conquiert une dimension spatiale, tridimensionnelle : celle des estrades, des vitrines, des kiosques. Le budget l’autorise, l’occupation d’un espace aux dimensions spectaculaires l’exige : la scénographie des objets graphiques (celle des affiches, au premier chef) requiert l’intervention de professionnels qui ne sont pas seulement des graphistes (comme c’était le cas dans les expositions sous forme de panneaux) mais des praticiens du design et de l’architecture.

Depuis les toutes premières expositions d’affiches à la fin du xixe siècle, les organisateurs et visiteurs d’expositions d’affiches témoignent des effets perceptifs particuliers provoqués par l’accumulation de ces objets-signes, dont le premier objectif est d’attirer et de retenir notre attention : tourbillon d’images, volière multicolore, étourdissement vécu avec plus ou moins de bonheur, l’exposition d’affiches (et plus largement de graphisme) est en tout cas une expérience sensorielle14. Architectes et scénographes appelés à mettre en scène les affiches imaginent des décors dont certains imitent, de manière plus ou moins littérale, des atmosphères de ville, de rue, de salon. D’autres composent des décors plus sobres, qui cherchent à mettre en valeur les objets. Pour le CCI, ce passage vers des scénographies plus muséales ne s’est pas fait en un jour… Il coïncide avec le rapprochement administratif avec le musée national d’Art moderne, entamé sous la direction de François Burckhardt en 1984 et qui allait se conclure, en 1993, par la naissance du nouveau MNAM-CCI15.

Vitrines

Un premier pas dans ce sens est, en 1985, l’exposition L’Image des Mots. Le propos de l’exposition ne se laisse pas aisément résumer, mais une chose est sûre, elle ne cherche plus à lier le graphisme à des questions politiques ou de société, ni à l’art, à l’architecture ou au design. À l’inverse, son ambition est de donner à voir et à réfléchir sur la forme donnée aux informations, aux lettres, aux images, sur des créations contemporaines (affiches, graphisme éditorial…) où l’on repère l’influence du postmodernisme16. Organisée en lien avec l’Association pour la Promotion de la Création industrielle (APCI), dans le cadre du plan de relance « Graphisme et typographie » orchestré par le ministère de la Culture, l’exposition est confiée au graphiste François Vermeil, mais surveillée de près par François Burckhardt, très soucieux de « l’image de marque, tant du Centre Pompidou que de l’APCI17 ». Le projet scénographique proposé par Vermeil, par exemple, ne convient pas. Celui-ci avait imaginé un système de cimaises, et un parcours émaillé de plusieurs « reconstitutions conceptuelles simples de lieux quotidiens (maison, bureau, école, rue, etc.)18 ». Mais sa proposition est jugée trop fantaisiste par Burckhardt qui préférera faire appel à l’architecte italien Italo Rota, dont l’expérience réside alors surtout dans la scénographie des musées et des œuvres d’art19. L’impression qui domine, sur les photographies de L’Image des Mots, est celle d’un certain classicisme : organisation de l’espace en travées parallèles, cimaises de couleur claire protégées par des vitres, objets espacés avec respect, certains présentés sur des socles… (Fig. 10). Les cartels et textes muraux sont encore très détaillés, pour véhiculer un propos assez complexe nourri des thèses de Marshall McLuhan, mais il est clair que les objets sont passés au premier plan – et l’apparition de « vitrines », pensées pour protéger ces objets et symbolisant leur caractère précieux, est pour beaucoup dans cette impression – même si elles sont très ouvertes et d’une forme presque désinvolte : simples plaques de verre appuyées sur le haut de la cimaise.

Les vitrines utilisées trois ans plus tard pour Images d’utilité publique (1988) appellent un commentaire particulier. Constituées de petits caissons légèrement inclinés à la façon d’un pupitre, couverts d’une plaque de plexiglas et fixés sur un piètement métallique, elles placent le visiteur dans une position qui n’est plus celle du face à face, mais du regard surplombant, minutieux, de l’entomologiste. Sous ses yeux, formulaires, billets de banque, systèmes d’identité et campagnes d’informations réalisées pour le compte d’institutions et d’organismes publics (États, mairies et collectivités locales, lieux culturels, associations…). Avec leur fond gris, elles contrastent avec l’atmosphère ludique donnée à l’espace d’exposition (la Galerie d’information du CCI), partagé en zones colorées de rouge, de bleu, de vert et animé par la présence de grosses figurines en polystyrène20 (Fig. 11).

Avant d’imaginer une exposition, Marsha Emanuel, la commissaire, avait eu en tête un projet d’étude sur « l’état des images de l’État », avec le projet de sensibiliser citoyens et décideurs publics à la nécessité de veiller à la clarté et la qualité du graphisme public. On retrouve quelque chose de l’approche très didactique du premier CCI dans les textes et cartels détaillés qui présentent les circonstances précises de chaque commande graphique : « quoi ? », « pourquoi ? », « comment ? », « qui ? », « quand ? », ainsi que la liste du matériel réalisé et des indications de budget21. L’emploi de la vitrine répond à des impératifs pratiques : elle permet de regrouper des objets de petites dimensions et de donner à voir ce qu’est un « programme d’identité visuelle ». Un programme d’identité visuelle comme celui du nouveau Parc de la Villette, conçu par Grapus, se décline sur toute une série de supports : cartes de visites, marque-pages, dépliants, papier à en-tête, etc., qu’il était indispensable de réunir pour faire comprendre le « métier ». Mais on peut deviner aussi, dans le choix de cette horizontalité qui nous ramène à la table de travail – travail d’étude ou travail créatif –, la transformation profonde du regard sur les communications visuelles, désormais envisagées comme le fruit d’un travail créateur. L’exposition met ainsi en lumière le travail du graphiste, que jusque là les approches sémiologiques ou, dans les expositions Paris-…, la perspective historique avaient conduit à passer sous silence ou à négliger. Renouant avec les titres en forme de question chers au CCI, l’un des textes disposés sur le parcours d’exposition, « Qu’est-ce qu’un graphiste ? », fournit une présentation très concrète du métier, autour de quelques traits saillants : le cadre de la commande, la diversité des pratiques et des outils mis en œuvre, une éthique de la communication22.

Cette dimension ressort très nettement après la fusion du CCI et du musée national d’Art moderne. Avant que celle-ci ne soit actée, Margo Rouard avait validé, avec Dominique Bozo, l’organisation de deux expositions monographiques consacrées, pour la première à Roman Cieslewicz, pour la seconde à Jean Widmer : deux graphistes qui ont directement contribué à l’histoire et à l’image de Beaubourg23. La scénographie des deux expositions est très soignée : la première dans le genre du white cube, alternant des espaces ouverts et de petits espaces clos ; la seconde à l’aide d’éclairages qui isolent, dans un espace sinon plongé dans la pénombre, des objets suspendus et des vitrines (Fig. 12). Dans les deux expositions, on a eu recours aux vitrines horizontales, pour présenter notamment les nombreux projets d’édition de Cieslewicz (revues, livres d’artistes) (Fig. 13) et, pour Jean Widmer, les catalogues des premières expositions du CCI. Ces vitrines accueillent aussi, c’est une première dans les expositions de graphisme du CCI, des esquisses, des originaux de maquettes, des dessins non édités (de Jean Widmer, on montre par exemple les premières esquisses pour le logo rayé du Centre Pompidou) : signe d’une entrée des communications visuelles (formule abandonnée au profit du vocable « graphisme ») dans un régime d’appréciation presqu’artistique.

Au travers de ces deux décennies de CCI parcourues à grands pas, on peut constater plusieurs évolutions dans la manière de présenter le graphisme et ses objets : passage d’objets immenses (les systèmes de signalétique urbaine, les grands 4 x 3 publicitaires) à des objets manipulables (brochures et supports d’identité visuelle, objets éditoriaux) ; passage de la bidimensionnalité d’expositions sous forme de panneaux à la tridimensionnalité d’espaces scénographiés, avec mobilier et éclairage sur mesure ; passage d’expositions à lire à des expositions à regarder. En un mot, passage de la ville à l’objet, où l’on observe que l’approche théorique des débuts, où les communications visuelles étaient abordées comme des phénomènes urbanistiques, sociologiques, et même politiques, a été remplacée par une attention pour l’objet graphique et son créateur.

Bibliographie

Catalogues des expositions mentionnées, par ordre chronologique

De l’objet à la ville [Cat. expo.]. Paris : CCI/CSCEI, 1973.

Qu’est-ce qu’une campagne publicitaire ? [Cat. expo.]. Paris : CCI, 1975.

Paris-Berlin. Rapports et contraste France-Allemagne, 1900-1933 [Cat. expo.]. Paris : Éditions du Centre Pompidou, 1978.

Paris-Moscou, 1900-1930 [Cat. expo.]. Paris : Éditions du Centre Pompidou, 1979.

L’Image des Mots [Cat. expo.]. Paris : CCI/APCI, 1985.

Images d’utilité publique [Cat. expo.]. Paris : CCI, 1988, p. 31.

ROUARD, Margo. Roman Cieslewicz [Cat. expo.]. Paris : Éditions du Centre Pompidou, 1993.

ROUARD, Margo. Jean Widmer, un écologiste de l’image [Cat. expo.]. Paris : Éditions du Centre Pompidou, 1995.

Articles et chapitres d’ouvrages

CHAILLAT, Estelle. « 1979 – Le mystère des kiosques à affiches de Paris-Moscou. Dispositifs de présentation et esprit agitprop soviétique » dans la ligne Le CCI et les expositions : décentrages successifs, Problemata.

CÔME, Tony. L’Institut de l’Environnement. Une école décloisonnée. Paris : B42, 2017, p. 97-100.

CÔME, Tony. « À l’Institut de l’Environnement, 1969-1971 : formation d’une brigade de projétation », in SMET, Catherine (de) et Béatrice FRAENKEL (dir.). Études sur le collectif Grapus, 1970-1990… Entretiens et archives. Paris : B42, 2015, p. 14-37.

DUFRÊNE, Bernadette. « La série des expositions internationales du Centre Georges-Pompidou : pour un nouveau modèle », Publics et Musées, n° 8, 1995, p. 75-101.

IMBERT, Clémence. « Mammouth écrase les prix, Grapus détruit la pub », in SMET, Catherine (de) et Béatrice FRAENKEL (dir.). Études sur le collectif Grapus, 1970-1990… Entretiens et archives. Paris : B42, 2015, p. 66-85.

IMBERT, Clémence. « “Vous en faites une œuvre”. Quelques réflexions sur les expositions de graphisme », Graphisme en France, n° 24, 2018.

MARÉCHAL, Caroll. « Le Centre de création industrielle, de sa création à son annihilation (1968-1992). Retour sur les aventures d’un lieu singulier », dans la ligne Le CCI et les expositions : décentrages successifs, Problemata.

VIENNE, Véronique. « Gérard Ifert. De Graphiste à Inventeur », in Eigengrau [Cat. expo.], Chaumont : Festival du Graphisme, 2014, p. 318-334.


  1. Rapport annuel du CCI, 1976, p. 25. La formule réapparaît ensuite régulièrement dans les textes de présentation du CCI et de ses activités : brochures, communiqués de presse, rapports d’activités…↩︎

  2. Le catalogue de l’exposition présentait deux cas « réussis » de signalétique contemporaine : le travail du graphiste belge Michel Olyff sur la lisibilité en signalétique ; et les pictogrammes réalisés pour les Jeux olympiques de Mexico (1968).↩︎

  3. De l’objet à la ville [Cat. expo.]. Paris : CCI/CSCEI, 1973.↩︎

  4. Sur l’enseignement des « communications visuelles » à l’Institut de l’Environnement, voir Tony CÔME. L’Institut de l’Environnement. Une école décloisonnée. Paris : B42, 2017, p. 97-100 ; et « À l’Institut de l’Environnement, 1969-1971 : formation d’une brigade de projétation », in Catherine DE SMET et Béatrice FRAENKEL (dir.). Études sur le collectif Grapus, 1970-1990… Entretiens et archives. Paris : B42, 2015, p. 14-37.↩︎

  5. Clémence IMBERT. « Mammouth écrase les prix, Grapus détruit la pub », in Catherine DE SMET et Béatrice FRAENKEL (dir.). Études sur le collectif Grapus, op. cit., p. 66-85.↩︎

  6. Qu’est-ce qu’une campagne publicitaire ? [Cat. expo.]. Paris : CCI, 1975.↩︎

  7. Archives CGP, 94033/293.↩︎

  8. Cette intégration se prépare dès 1970.↩︎

  9. Archives CGP, 94033/293. Il s’agit là d’une des rares « créations industrielles » auxquelles le CCI aura directement contribué – conformément à son projet de fonctionner comme un bureau d’étude. Sur la carrière de graphiste et designer de Gérard Ifert, voir Véronique VIENNE. « Gérard Ifert. De Graphiste à Inventeur », in Eigengrau [Cat. expo.]. Chaumont : Festival du Graphisme, 2014, p. 318-334.↩︎

  10. Bernadette DUFRÊNE. « La série des expositions internationales du Centre Georges-Pompidou : pour un nouveau modèle », Publics et Musées, n° 8, 1995, p. 75-101.↩︎

  11. Archives CGP, 1992002/030.↩︎

  12. Exposition Paris-Moscou, Dossier de presse numérisé, p. 11.↩︎

  13. Voir l’article d’Estelle CHAILLAT. « 1979 – Le mystère des kiosques à affiches de Paris-Moscou. Dispositifs de présentation et esprit agitprop soviétique » dans la ligne Le CCI et les expositions : décentrages successifs, Problemata.↩︎

  14. Clémence IMBERT. « “Vous en faites une œuvre”. Quelques réflexions sur les expositions de graphisme », Graphisme en France, n° 24, 2018.↩︎

  15. Caroll Maréchal. « Le Centre de création industrielle, de sa création à son annihilation (1968-1992). Retour sur les aventures d’un lieu singulier », dans la ligne Le CCI et les expositions : décentrages successifs, Problemata..↩︎

  16. L’Image des Mots [Cat. expo.]. Paris : CCI/APCI, 1985. Le graphisme « postmoderniste » a été bien étudié, pour le monde anglo-saxon, par Rick POYNOR dans Transgression. Graphisme et postmodernisme. Paris : Pyramid, 2003 [édition originale : No More Rules, Graphic Desig and Postmodernism. Londres : Laurence King, 2003].↩︎

  17. Lettre de François Burckhardt à Margo Rouard, datée du 23 avril 1985. Archives CGP, 94033/242.↩︎

  18. Plaquette reliée intitulée « Typo/Graphisme ». Archives CGP, 94033/243.↩︎

  19. En 1985, Italo Rota, qui travaille avec Gae Aulenti sur le projet de rénovation de la gare d’Orsay en ce qui deviendra le Musée d’Orsay, et quelques salles du musée du Louvre.↩︎

  20. La scénographie avait été confiée au collectif Courage, c’est du graphisme (Pierre Milville, Vincent Perrottet, Pierre di Sciullo et Michel Blanc-Guérin), héritier de Grapus. Les sculptures avaient été commandées au sculpteur Nicolas Diaz, un ami d’enfance de Vincent Perrottet. Elles sont chargées de « donner un contrepoint joyeux et un peu olé olé dans quelque chose qui aurait été, sinon, très cérébral » (Entretien téléphonique avec Vincent Perrottet, 13 février 2017).↩︎

  21. La totalité des cartels est reproduite dans le dossier de presse de l’exposition.↩︎

  22. Le nom de Marsha Emanuel apparaît en signature de ce texte : « Qu’est-ce qu’un graphiste ? », Images d’utilité publique [Cat. expo.]. Paris : CCI, 1988, p. 31.↩︎

  23. Entretien avec Margo Rouard, 26 avril 2012. Roman Cieslewicz avait réalisé la communication des grandes expositions inaugurales du Centre Pompidou ; Jean Widmer avait participé de près à la création du CCI dont il avait réalisé les premières affiches d’expositions et les maquettes des premiers catalogues.↩︎