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Du mythe métabolique. Authenticités, infrastructures et identités alimentaires

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Peu de domaines issus de la culture matérielle portent en eux une exigence d’authenticité, d’intégrité et de transparence comme c’est le cas des techniques et matérialités ayant pour sujet la nourriture. Les aliments matérialisent les mythes et les imaginaires de la nature et de la modernité. Des économies régionales tout entières et des types de cuisines nationales proviennent d’histoires inventées ou qui se sont peu à peu développées autour des lieux et techniques de préparation des aliments. En parallèle, et compte tenu de la difficulté de mise en œuvre des systèmes d’achat à la source, les contrefaçons sont fréquentes et la falsification généralisée. Les cultures et les peuples du monde entier se soucient de l’authenticité des plats et de la conformité des matières premières et des préparations. Les structures politiques ou gouvernantes tentent d’attraper ceux qui, volontairement ou non, commettent la très sérieuse infraction de violer la dimension sacrée de cette économie ou le caractère très intime des aliments. Les processus alimentaires sont falsifiés, altérés, contaminés et stigmatisés d’une manière profondément vicieuse et révoltante, révélant ainsi ce dont les êtres humains sont le plus soucieux. Les mythes, la matérialité, les médias, les systèmes et les infrastructures alimentaires représentent un imaginaire métabolique qui relie des processus alimentaires simples en apparence aux notions de vérité et d’authenticité. Nos techniques culinaires et nos performances sociales, narratives et identitaires montrent une fois de plus que « la vérité est une affaire d’imagination ». Traduit de l'anglais pas Matthieu Ortalda

F pour Food Fake

Devrais-je avouer ? Avouer quoi ? Que j’ai peint1 des chefs d’œuvres ?
Orson Welles (1973)2

La vérité est affaire d’imagination. Un fait irréfutable peut être accepté ou refusé suivant le style dans lequel il est présenté — tel cet étrange joyau organique de nos mers dont l’éclat s’avive ou se ternit selon la personnalité de la femme qui le porte : ne peut-il même tomber en poussière ? Les faits ne sont pas plus solides, cohérents, réels. Mais, comme les perles, ils sont une sensibilité.
Ursula K. Le Guin3

En 1973, le célèbre auteur américain Orson Welles sort un film réalisé en collaboration intitulé F for Fake (Vérités et mensonges). Documentaire, drame, fiction et biopic, ce film, composé en montage rapide et à partir de sources et médias multiples4, est porté presque sans relâche par une voix off wellesienne de génie, bégayante et décousue. La cohérence du film est maintenue de manière elliptique par un entrelacement des biographies de deux « vrais » faussaires culturels liés par une amitié née au début des années 1970 sur l’île d’Ibiza : le célèbre faussaire d’art moderne Elmyr de Hory et le faux biographe Clifford Irving qui avait notamment prêté sa plume pour l’autobiographie fictive du milliardaire reclus Howard Hughes (et s’est plus tard retrouvé en prison pour fraude). F for Fake met en scène son thème même — l’authenticité, la paternité, l’artifice et l’artificialité, des vrais et des faux – en montrant et en racontant un certain nombre de propositions, de rencontres et de lieux douteux. Au premier visionnage comme lors des suivants, on ne peut différencier de manière claire les séquences « vraies » et « authentiques » des détournements concoctés par Welles. En effet, comment croire les mots emplis de promesses qui ouvrent le film — « tout ce que vous nous entendrez dire est tout à fait vrai et repose sur des faits irréfutables5 » –, des mots prononcés par un narrateur qui, trente-cinq ans auparavant, juste avant la Seconde Guerre mondiale, avait provoqué une panique généralisée aux États-Unis par la lecture d’une pièce radiophonique fictive intitulée La Guerre des mondes, poussant des foules anxieuses à sortir dans les rues des villes du Midwest, en proie à l’idée que les Martiens avaient réellement envahi le New Jersey6.

F for Fake est un film particulièrement intéressant à l’ère des fake news et du prisme actuel des « bonnes » ou « mauvaises » vérités. Une version restaurée et remasterisée a été présentée au Festival de Cannes en 20217. Elle exhume le traitement prémonitoire de certaines conditions contemporaines dont nous faisons l’expérience aujourd’hui, à savoir la déconstruction du génie8, la dévalorisation de l’expertise, la distribution des marchés et de la paternité9, la généralisation des contrefaçons et la post-vérité. Le film à sa sortie ne fut pas un succès, tant d’un point de vue artistique que critique ou commercial. L’Allemande Lotte Eisner, célèbre critique de cinéma, fut catégorique dans sa désapprobation à l’égard de ce documentaire expérimental à montage rapide. Pour elle, ce pastiche indélicat et ouvertement sexiste réalisé par de « grands » artistes-canailles et masculins était non seulement différent des autres films de Welles, mais « n’[était] même pas un film10 ». Ce docu-fiction sinueux, permissif et philosophique de Welles est à présent considéré comme un exemple fondateur, bien que problématique et vantard, du genre connu sous les noms d’essai cinématographique ou film-essai11. La beauté de l’essai, comme l’indique bien volontiers la langue française, réside dans sa nature d’essai ou de test qui nous permet de mettre de côté, ne serait-ce que pour un instant, lors du processus de création, les fardeaux que sont les preuves et la vérité. En regroupant des éléments disparates, des différences et des thèmes distincts, cette forme d’expression favorise les conjectures et l’adoption de perspectives qui sous-tendent que les réalités sont plurielles et que nous pouvons, ou devons, « consentir à ne pas être un seul être12 ». Le film de Welles, comme, je l’espère, cet essai, contourne une efficacité rationaliste tacite, réductionniste et impitoyable qui décrète que tout ne devrait avoir qu’un seul « sens » ou une seule « justification finale ».

Dans une scène proche de la fin du film, Orson Welles, charlatan autoproclamé rondelet et gourmand, est entouré d’un groupe d’Européens qui, verre de vin rouge à la main, portent des toasts et racontent des histoires grinçantes et grandiloquentes Ce petit groupe déguste des plateaux de fruits de mer, installés sur une banquette de La Méditerranée, restaurant parisien place de l’Odéon qui sert toujours cette cuisine pescétarienne (« ici, au moins, les fruits de mer ne sont pas trafiqués, Dieu merci », nous rassure notre narrateur à la voix de baryton) : « Racontée au coin du feu, au marché ou dans un film, il est presque sûr que presque n’importe quelle histoire s’apparente à un mensonge13. » Les convives semblent s’amuser sans entraves, riant et chancelant en présence de ce conteur, véritable artiste et grand menteur, qu’ils aiment pour l’énormité de ses détournements et ses enchevêtrements de faits et de fiction, pour la façon dont il semble consommer et régurgiter le monde, ou parce qu’il raconte des fish tales [gros mensonges]14. Orson Welles s’intéressait immensément à la nourriture, et ses biographies sont parsemées d’histoires de gueuletons opulents composés entre autres d’huîtres, de homard et de champagne. Il y avait au menu de son repas du soir préféré deux steaks et une pinte de whisky. Dans F for Fake, il est question de contrefaçon culinaire dans une séquence qui désigne les critères irrationnels de la rareté comme étant la cause première du caractère contrefait de tout ce qui l’est, et la raison qui pousse à la contrefaçon de tout ce qui peut l’être. Welles se plaint auprès du spectateur qu’« énormément d’aliments sont trafiqués de nos jours en cuisine15 ».

A pour Art Artifice, C pour Craft Craftiness, D pour Design Deception

Nous avons appris à découper l’arbre de l’Eden en patères pour suspendre des surplis ; / Nous avons appris à mettre nos père et mère dans le jaune d’œuf gâté ; / Mais nous savons que la queue doit remuer le chien, que le cheval est traîné par la charrette, / Mais le diable hurle, comme il hurlait jadis : « C’est adroit, mais est-ce de l’art ? »
Rudyard Kipling, Le Quolibet des ateliers (1890)16

Le génie de F for Fake réside dans la façon dont le film et son propos sont à la fois fictifs, réels, contrefaits et authentiques. Il s’agit d’une méditation sur les rapports entre l’art, la créativité, l’imagination, la responsabilité et la vérité. Les ouvrages et processus de travail d’Ursula K. Le Guin, Jorge Luis Borges, Octavia E. Butler, José Saramago, Werner Herzog, Imbolo Mbue et d’autres proposent des modèles d’observation pour prendre la mesure du caractère réel, véritable et opérationnel des « êtres de fiction17 » dans les rituels du quotidien. La magie du réalisme offre des illusions viables et des mythologies refaçonnées qui pourraient également inspirer les pratiques de l’art et du design qui œuvrent pour des avenirs pluriversaux et atteignables18. Des contes fictifs comme par exemple A Life with Cibi de Natsumi Tanka – qui raconte la survie d’une population d’êtres vivants appelés les « Cibis » parmi les humains qui n’hésitent pas à se nourrir de leur chair – bousculent « toute idée d’innocence ou de capacité à nous affranchir nous-mêmes d’un monde régi par les rapports prédateur-proie19 ». Il existe de nombreuses façons de parler de véracité et de fausseté et de vie et de mort sans pour autant recourir à la fixité ou à l’objectivité, ni à l’évasion par la critique ou la spéculation, ou encore à un solutionnisme simplificateur.

Dans son essai étymologique « On the Word Design », Vilém Flusser souligne de manière similaire l’ambiguïté de l’art et du design en termes de danger, de fonction et de pouvoir. Pour lui, « [l]es mots design, machine, technologie, ars et art sont étroitement liés les uns aux autres, chacun de ces termes étant inconcevable sans les autres » et « après tout, ce qui relie les termes mentionnés ci-dessus, c’est qu’ils ont tous comme connotations la tromperie et la ruse (entre autres)20 ». Il serait difficile de surestimer la quantité d’activités humaines, de technologie, de connaissances et de pratiques développées précisément pour gérer et mesurer les « vastes illusions parmi lesquelles nous collaborons tous volontairement21 ». Culture, art,médias, design et cuisine sont des mots qui nous sont chers, mais ils décrivent également quelques-unes de nos nombreuses manières de nous tromper mutuellement.

Notre époque — peut-être en a-t-il toujours été ainsi — est éprouvante ; ce qui la marque est une recherche de données contradictoires, un zèle des processus de validation, une prolifération de faux faits, de théories du complot et de contrefaçons (en profondeur, en surface ou autre). Nous sommes entourés de systèmes scalaires conçus, développés et distribués pour échapper, de par leur complexité, à la compréhension ou au contrôle immédiat des individus dont le rôle au sein de ces systèmes reste limité. Les artistes, les designers, les créateurs de médias, les universitaires et les chercheurs se préoccupent à présent d’exercer leur métier au service de la vérité, de la preuve et de la validation. Ces domaines requièrent une base empirique, ainsi beaucoup d’entre nous sont devenus des travailleurs de terrain22. Dans une optique ethnographique, anthropologique et scientifique, les artistes et les designers entendent gagner la confiance des communautés qu’ils rencontrent23 et découvrir la vérité24. Notre présent est celui des technologies « avancées » et racoleuses, imaginées, développées et promues pour l’initiation, la gestion et la supervision de la confiance parmi des « groupes mutuellement25 ». Ainsi les Blockchains représentent un summum de cette innovation contemporaine, poussée par les capacités d’ingénierie et de design comme « solution » pour les « problèmes de confiance » qui sous-tendent les crises planétaires comme les maladies, le changement climatique et l’accès à la nourriture. Le livre de Xiaowei Wang Blockchain Chicken Farm26 décrit comment ces technologies sont directement appliquées à « la provenance des produits » pour aider à rationaliser les « chaînes d’approvisionnement tentaculaires [qui] conduisent à des problèmes de contamination et de sécurité alimentaire27».

M pour Meal Media

La réalité est fascinante parce qu’elle est plus inventive que la fiction.
Umberto Eco (2015)28

L’approche de la nourriture du point de vue des études médiatiques (comme s’y emploient des chercheurs tels que Liam Young, Jacqueline Botterill et d’autres29) fait apparaître des messages, des interprétations et des significations différents de ceux engendrés par les besoins primaires et nécessaires à notre subsistance. Les aliments contiennent et nourrissent certains types d’informations et de significations, qui peuvent être corrompues et falsifiées, mal interprétées et mal comprises. Reprenant l’histoire et les utilisations des sels30, Liam Young explique en quoi ils remplissent les trois critères des médias symboliques et techniques qu’avait définis Friedrich Kittler31 — le traitement, le stockage et le transfert — pour démontrer « l’imbrication de substances d’origine naturelle dans les opérations et l’approvisionnement des chaînes de culture numérique32». « La médiation n’a jamais été le champ exclusif des dispositifs techniques », écrit Young33 et les systèmes alimentaires sont une infrastructure médiatique native, omniprésente, mal comprise34 et presque invisible, à laquelle on accède uniquement par les extrémités de chaîne. Comme l’a écrit Marcel Mauss, « le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme35 ».

Les aliments et leur préparation, ainsi que le mythe d’une (fausse) rareté mondiale qui les entoure, appartiennent à une catégorie de pratiques créatives et humaines imprégnées de problèmes liés à l’authenticité, à la pureté, à la provenance, aux imaginaires, à la narration, au mythe, à la confiance, au faux et aux faits. Bien qu’il faille le relativiser36 37, le concept même de véracité pourrait vraisemblablement tirer son origine de la production, l’approvisionnement et le commerce de la nourriture. L’anthropologue français Claude Lévi-Strauss a extrait sa théorie structuraliste du langage à partir de l’interprétation canonique du caractère sensoriel et de la qualité des aliments préparés et consommés dans les cultures indigènes du peuple bororo. Son premier volume des Mythologiques38, Le Cru et le Cuit, fait référence aux origines du langage dans les distinctions entre les mots « frais » et « pourri », « humide » et « sec », « cru » et « préparé39 ».

La préparation des aliments, notamment par la cuisson, est pour Lévi-Strauss une médiation entre la nature et la société qui peut être généralisée à l’opposition entre la vie et la mort, ou l’infini (les cieux) et le fini (la terre) :

La conjonction d’un membre du groupe social avec la nature doit être médiatisée par l’intervention du feu de cuisine, à qui revient normalement la charge de médiatiser la conjonction du produit cru et du consommateur humain, et donc, par l’opération duquel un être naturel est, tout à la fois, cuit et socialisé40.

Le processus primordial de décomposition des protéines — qui vise à transformer les produits crus et prédigérés de la photosynthèse pour qu’ils puissent être digérés par un être humain — devrait survivre en tant que métaphore continue et centrale à travers les cultures et les localités. De manière similaire, quoi de plus valorisant, dans l’émergence de concepts tels que la fidélité, la confiance ou l’opposition légitime/frauduleux, que l’achat et l’échange de substances saines et « fraîches », d’origine locale, qui maintiennent la santé et la vie ?

Les historiens et anthropologues de la culture prêtent des origines culinaires à la narration créative, aux mythes et à la fabrication d’objets artistiques41. En tant qu’êtres humains, nous avons dû trouver les moyens de gérer nos besoins, nos désirs et nos responsabilités face à la mort et à l’intégration d’autrui dans la communauté. Ces besoins sont à l’origine de bien d’autres techniques culturelles, dont peut-être la parole ou le langage lui-même42. Nous nous racontons des histoires de justification, de commémoration et de gratitude — nous nous voilons la face par ces petits actes qui nous offrent la distance et le changement de trajectoire dont nous avons besoin, mais qui mettent également en place de plus vastes infrastructures métaboliques dans lesquelles se retrouve leur empreinte.

Des formes de valeur abstraites, imaginées et normalisées, comme l’argent, permettent d’empêcher que l’on endosse la responsabilité directe de la souffrance ou de la disparition d’autres êtres vivants, qu’ils soient animaux ou végétaux. L’argent agit comme un moyen de médiation par procuration pour se soulager du fait d’être mêlé à une situation désagréable43. Un certain nombre d’études ont établi le lien entre l’augmentation des taux de criminalité et de violence domestique avec l’exposition à la maltraitance animale dans les abattoirs44. Comme le souligne Walter Benjamin, les civilisations reposent sur ce type de barbarie extériorisée45. Le commerce et les marchés nous offrent des modes de déni et d’abstraction plausibles : autant de modes de modernisation magique et de transformation financière qui nous permettent par ailleurs de nous faire confiance les uns les autres, d’avoir foi en les institutions, mais aussi de nous endetter auprès d’elles, tout comme auprès d’autrui.

L’une des principales caractéristiques des mythes alimentaires à travers les cultures est qu’ils nous disent quelque chose du passage des sociétés nomades et de chasseurs-cueilleurs à la fondation des « civilisations » plus sédentaires. Dans la tradition chrétienne, cette transition est racontée par la « chute », au cours de laquelle les premiers humains passent d’un état d’innocence authentique et équilibré en lien avec Dieu, à un état de tromperie, de culpabilité et de désobéissance. Le « premier homme », Adam, déclenche cette transition par un acte alimentaire : celui de manger une pomme.

Des travaux récents en sciences humaines — qui lient les études culturelles de géographie alimentaire, sociale et spatiale, avec le savoir contemporain des études alimentaires46, l’écologie politique de l’alimentation47 et les habitudes alimentaires48 — posent un examen critique des systèmes, pratiques, traditions et croyances autour de la nourriture dans un contexte socio-culturel donné, en insistant souvent sur la dimension biopolitique du sujet et les rapports aux non-humains49. Les dimensions spatiale et écologique sont utilement signalées par des termes d’étude tels que « bassin alimentaire » (d’après « bassin versant » issu de l’hydrologie et de la gestion de l’eau) qui définit une « zone géographique en expansion dans laquelle circule de la nourriture pour une population donnée50 ». Les études et les programmes portant sur les paysages alimentaires des populations autochtones expliquent avec éloquence les difficultés historiques et actuelles des groupes marginalisés et minoritaires à accéder à la nutrition et à développer leurs cultures alimentaires sans jugement ni discrimination51. L’accès aux réseaux alimentaires alternatifs52, la justice alimentaire53, le racisme environnemental54, le blanchiment du pain55 ou la politique de lutte contre la faim des Black Panthers56 sont la preuve d’un métabolisme politique qui confirme la réalité des inégalités de race, de genre et de classe. Le lien entre l’émergence de ces problèmes et l’avènement du capitalisme industriel est souligné par le fait que ces ruptures politico-écologiques ont été diagnostiquées par Marx et Engels au xixe siècle57. Des concepts tels que la « gastro-politique58 », le « gastro-citoyen59 » et la « gastro- diplomatie60 » nous aident à comprendre ces moments médiatiques où les politiciens avalent de manière performative du « bœuf britannique » ou des « pâtes italiennes » devant la caméra, pour aider à dissiper des inquiétudes lors d’une crise de santé publique ou pour jouer la carte de l’honnêteté.

À une période où il est difficile de voir l’utilité ou la plausibilité de beaucoup d’autres types d’universalismes précédemment projetés, il reste « vrai » que tout être vivant doit manger et a toujours eu besoin de manger, et que la vie en tant que telle se construit sur la mort d’autres êtres vivants. Cette « rare et solide généralisation du comportement humain61 », cette « vérité » fondamentale – presque incongrue ou désagréable compte tenu des valeurs des civilisations occidentales – a poussé toutes sortes de systèmes et d’imaginaires à mettre en place sa propre médiation sous la forme d’une superposition de couches narratives, mythologiques, médiatiques et technologiques. Val Plumwood nous rappelle que « tous les êtres écologiquement incarnés existent comme nourriture pour d’autres êtres » et que « la supériorité culturelle de l’Occident s’efforce de nier [...] que nous, les humains, pouvons avoir notre place dans la chaîne alimentaire au même titre que les autres animaux62 ». Le fait de penser notre intimité écologique et de s’y reconnecter à travers la nourriture couple l’« intimité intestinale63 » des êtres humains à des processus planétaires immémoriaux et aux réalités de l’existence médiatisée, infrastructurelle et mondialisée. Comme l’écrit la chercheuse Huiying Ng, il s’agit d’imaginaires à potentiels, afin de métaboliser l’espoir64.

B pour Baking Bogus [Bidon]

Dans son livre d’histoire des civilisations Homo domesticus — Une histoire profonde des premiers États, James Scott, professeur en sciences politiques, avance « l’hypothèse céréalière », selon laquelle pratiquement tous les États classiques n’ont jamais été fondés que sur les céréales. « L’histoire n’a pas gardé trace de l’existence d’États du manioc, du sagou, de l’igname, du taro, du plantain, de l’arbre à pain ou de la patate douce. (Les ” républiques bananières ” n’entrent pas dans cette catégorie !) », écrit Scott65. Le blé et les céréales sont bien adaptés à l’artisanat des États proto-modernes où la production concentrée, l’évaluation fiscale, l’appropriation, le stockage et la rareté (avec le rationnement, par exemple) sont organisés. La terre, le blé et les céréales se situent d’un côté d’une chaîne médiatico-infrastructurelle où la documentation technique (et ses archives) sur les réseaux sociaux de la cuisson du pain au levain a connu un essor soudain en 2020, lors de la pandémie de coronavirus et des confinements successifs. Jamais auparavant l’échelle à laquelle la nourriture en tant que média a été médiatisée, racontée et re-racontée, publiée et republiée, n’avait été si vaste et généralisée.

Le chercheur en media studies Gwyn Easterbrook-Smith explique en quoi une telle orientation performative vers le pain marque des changements historiques et politiques dans la nature des pratiques domestiques et artisanales et dans la création de ce qui est présenté comme un aliment authentique. Dans le cas du « bread baking sur Instagram », c’est « la capacité de ne pas participer à la préparation des aliments [qui] est l’un des mécanismes par lesquels s’y consacrer se construit comme un loisir66». Le bread baking sur Instagram est un phénomène dans lequel les performances d’authenticité et d’identité relèvent essentiellement d’une négociation. Ces boulangers amateurs tentent d’établir un capital culturel culinaire à travers la production sociale de « vrai pain ». Ce qui s’exprime, parmi ce qui représente désormais des millions de publications sur Instagram accompagnées des hashtags #sourdough [levain] ou #breadmaking, ce sont des inquiétudes et des préoccupations quant au fait d’être accepté comme de « vrais boulangers » ou de « vrais gastronomes », ou au contraire d’être considéré comme un newbie [débutant], ce qui peut parfois provoquer le syndrome de l’imposteur chez ces foodies [amateurs de cuisine] des réseaux sociaux.

Les boulangers, du moins ceux issus des cultures anglosaxonnes, souffrent depuis des millénaires d’allégations d’inauthenticité. Depuis que le commerce de boulangerie est une activité majeure en Europe, les boulangers sont soumis à des ordonnances de défense des droits des consommateurs strictes et à des restrictions légales, comme en témoigne la place centrale du pain dans l’alimentation européenne. En économie politique aux prémices de cette activité, les boulangeries étaient alliées aux moulins et formaient avec eux un monopole dans leurs régions locales. Ces deux entités étaient extrêmement impopulaires et continuellement accusées de lésiner sur le poids et la qualité du pain. La réponse à ce scepticisme public fut la baker’s dozen [treize à la douzaine], soit la coutume du boulanger d’inclure un pain supplémentaire dans un sac de douze pour s’assurer qu’il n’y aurait pas d’accusations de manquement sur le produit. L’ouvrage Bread: A Slice of History [Le Pain : une tranche d’histoire] de Marchant, Reuben et Alcock raconte à quel point les boulangers anglais étaient publiquement et fréquemment humiliés pour leurs infractions à la réglementation sur cet aliment de base, notamment sur sa qualité67.Le statut de la boulangerie en tant qu’activité sujette aux premières régulations alimentaires signifie que les boulangers furent parmi les premiers à « labéliser » leurs produits. Chaque boulanger recevait un tampon ou une marque à apposer sur son pain afin que les produits de qualité inférieure puissent être retrouvés, et le boulanger puni. Depuis la Grèce antique et les Romains, la présence de sable ou de cendres dans le pain représentait une infraction et les boulangers pouvaient donc faire l’objet d’accusations. Les archives dentaires archéologiques en témoignent : les dents s’usent avec la consommation de pain contenant du sable68.

La blancheur du pain, en l’absence de telles adultérations, fut associée à la qualité des produits de boulangerie. Elle n’a évolué qu’avec la résurgence récente des cuissons artisanales de pains complets et plus foncés. Aaron Bobrow-Strain, professeur en politique alimentaire, note qu’au milieu du xxe siècle en Amérique,

la signification du blanc s’est progressivement figée autour des notions de pureté et de contrôle. À cette époque, le ressenti collectif de l’Amérique blanche sur les nuances ambiguës de la blancheur raciale était plus instable qu’à tout autre moment de son histoire [...] La blancheur, comme jamais auparavant, était devenue synonyme de contrôle sur un désordre menaçant, et cette association s’est manifestée sur la scène de multiples théâtres, y compris celui de la production alimentaire69.

F pour Food Forgery

La contrefaçon d’aliments est une préoccupation continue des consommateurs, des entreprises agroalimentaires et des organisations gouvernementales du monde entier. Sur la base d’un taux de fraude sur produit de 5 à 7 % dans le monde, la vente d’aliments contrefaits est censée coûter à l’industrie jusqu’à 34 milliards d’euros par an70. Les aliments les plus communément falsifiés sont les produits en vrac qui peuvent être dilués ou altérés comme l’était la farine avant l’arrivée des syndicats de boulangers britanniques. Les produits à marge élevée comme l’huile d’olive, le miel et le sirop d’érable peuvent être coupés avec d’autres huiles ou ingrédients liquides pour obtenir de plus gros volumes de produits qui peuvent être vendus à des prix plus élevés. À titre d’exemple, seule la Nouvelle-Zélande fabrique du miel de manuka, un miel monofloral et antibactérien, car c’est le seul endroit au monde où les abeilles européennes peuvent butiner le nectar des fleurs du manuka — le nom maori d’un arbre à thé indigène. Le taux de production s’élève à environ 1700 tonnes par an, et pourtant, plus de 10 000 tonnes en sont vendues à l’échelle internationale71. Les substitutions d’espèces visuellement impossibles à distinguer sont la principale forme de fraude liée au poisson, tout comme certaines pratiques telles que le glaçage qui favorise la rétention d’eau afin augmenter le poids des poissons pêchés de plus de 50 % — une véritable escroquerie pour les consommateurs. Les injections de gel pour gonfler les produits tels que les crevettes et les pétoncles, ou les colorants qui altèrent l’intérieur ou l’extérieur des prises de qualité inférieure représentent d’autres formes de fraude aux fruits de mer. La falsification alimentaire à des fins lucratives par l’apposition de faux labels ou par la publicité mensongère reste sensible pour les producteurs comme pour les consommateurs, mais n’est bien sûr pas aussi grave que les contrefaçons alimentaires qui peuvent entraîner une hospitalisation, voire la mort. Parmi ces pratiques, il y a celle du remplacement des poissons comestibles par des espèces naturellement toxiques72 ou par d’autres espèces moins chères et plus abondantes qui peuvent toutefois provoquer de graves réactions allergiques. Elles comprennent également les injections d’alcool méthylique potable, comme dans le cas d’une épidémie en 2012 qui a causé le décès de 38 personnes en République tchèque et de 4 autres en Pologne73.

Bien qu’il soit facile d’apprécier le cas des aliments contrefaits à risques pour la santé et la sécurité comme étant inacceptable et contraire à l’éthique, la frontière entre une modification délibérée ou une fausse image des aliments et la substitution culinaire calculée et créative relève parfois de la zone grise. Le film Sour Grapes74 est un documentaire de 2016 sur un amateur de vin sociable et sympathique, connu des cercles de riches gastronomes autoproclamés des côtes est et ouest des États-Unis (tous des hommes) pour être à la fois de bonne compagnie et avoir un très bon nez pour le vin. Cet homme, nommé Rudy Kurniawan, était aussi un escroc qui produisait des vins d’assemblage similaires à des millésimes inestimables, puis les mettait en bouteille, les ré-étiquetait et vieillissait leur apparence dans la cuisine de son appartement. Désormais en prison, il a amassé des millions de dollars en vendant des millésimes de vins français qui n’avaient jamais existé. Face à ces nouveaux riches californiens souvent inexpérimentés, son histoire et sa capacité à recréer ces vins lui conféraient beaucoup de sympathie — une sympathie d’autant plus poignante dans le cadre de l’escroquerie de ce cortège d’hommes particulièrement et inutilement riches. Beaucoup des victimes de Kurniawan semblaient ne pas vouloir croire qu’il les avait escroquées et l’ont défendu, dans une certaine mesure, même après son arrestation et sa condamnation à dix ans de prison. De la même manière que F for Fake dresse entre autres le portrait de l’artiste et faussaire Elmyr de Hory et de l’acteur et charlatan Orson Welles, Sour Grapes est aussi l’histoire d’un savant et d’un artisan dont le talent résidait dans l’imitation de grands vins et l’éloquence de ses performances épicuriennes.

Il existe de nombreux cas dans lesquels nous préférons ne pas savoir ce que nous mangeons, buvons ou digérons, tout comme il est possible de ne pas vouloir connaître la vraie nature de quelqu’un, ni savoir qu’une œuvre d’art que nous possédons est une contrefaçon75. Le faux est toujours ambigu et ambivalent, un mélange d’illusion créative et de mensonge trompeur. En présumant que nous sommes toujours à la recherche de la « vérité », nous ignorons la beauté productive de l’artifice, de la ruse et du design — et la prévalence pure et simple de la contrefaçon et de la performance — dans les domaines culturel et culinaire. Les faux et les contrefaçons, ainsi que les imaginaires métaboliques sur lesquels ils s’appuient, sont des rappels supplémentaires et plutôt solennels que « la vérité est une affaire d’imagination76 ».

Bibliographie

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Chapitres ou articles dans un ouvrage ou une revue

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