Introduction
Il existe une tension réelle entre tâches et technologies dans le design d’interface. Le design basé principalement sur les caractéristiques d’une nouvelle technologie est souvent techniquement esthétique mais fonctionnellement maladroit. De façon équivalente, le design qui découle des tâches et besoins des utilisateurs peut passer à côté de potentielles innovations technologiques. Il s’agit alors de saisir les besoins et aptitudes des nouveaux utilisateurs tout en comprenant les capacités et les limites des technologies pour déterminer les possibilités qu’elles ouvrent en termes de design.
Dans cet article, j’explore la notion d’affordances comme moyen de se concentrer sur les forces et les faiblesses des technologies, en considérant les potentiels offerts à ceux susceptibles de les utiliser. Le terme d’« affordance » a été introduit par le psychologue de la perception J. J. Gibson1 en développant une alternative écologique en termes d’approche cognitive.
Cette dernière considère que chacun a un accès direct uniquement aux sensations, sous forme de souvenirs, qui construisent des représentations symboliques de l’environnement et de ses capacités à orienter vers une action à l’objectif défini. Cette idée a été récemment discutée, particulièrement pour son approche très décontextualisée du design2. En se concentrant sur la perception, l’action, la mémoire et la résolution « de tête » de problèmes, les descriptions énoncées de l’action dans l’environnement, de l’utilisation d’outils, de l’apprentissage guidé par la perception, etc., ont souvent été perçues comme baroques et excessivement compliquées.
À l’inverse, l’approche écologique met l’accent sur la pertinence à l’échelle humaine des objets, des caractéristiques et des événements, ainsi que sur les schémas énergétiques qui fournissent de réelles informations perceptuelles. Elle écarte la production massive, en laboratoires, de comptes rendus et traitements détaillés de l’information, en les considérant comme des résultats inutiles issus de situations anormales.
En se concentrant sur la perception et l’action au quotidien, la perspective écologique offre une approche plus concise du design d’artefacts, avec une action désirée, précise et immédiate. De ce point de vue, les méthodes cognitives sont plutôt réservées à l’élaboration d’artefacts complexes, difficiles à utiliser et pouvant devenir sources d’erreur.
La notion d’affordances est, par bien des aspects, un condensé de l’approche écologique, encapsulant des idées sur la physique écologique, les informations perceptuelles et la relation entre perception et action. À notre sens, les affordances constituent les objets fondamentaux de la perception. Chacun perçoit l’environnement à travers ses potentiels d’actions, de manière directe, sans étapes intermédiaires signifiantes engageant mémoire et inférence. Par exemple, nous percevons les escaliers à travers leur « grimpabilité », propriété quantifiable de la relation entre l’individu et l’escalier. L’effort requis pour monter une volée d’escaliers peut être décrit par une fonction en forme de U (parabole) mettant en rapport la hauteur d’une marche avec celle d’une jambe. Warren3 a démontré que les personnes dont le jugement sur la « grimpabilité » de différents escaliers est visuellement guidé témoignent de cette propriété avec une grande précision : elles perçoivent l’affordance de la montée d’escaliers.
L’affordance d’un objet, comme celle de grimper, reflète simultanément les attributs de l’objet et de l’acteur. Cela fait de cette notion un concept puissant en matière de pensée des technologies car il se concentre sur les interactions entre celles-ci et leurs futurs utilisateurs. Toutefois ce concept soulève aussi nombre de questions dans différents domaines : la perception et l’action, la métaphore et l’apprentissage, et les processus résultant de la logique input/output. Un exemple de la vie de tous les jours peut illustrer le type de questions qui doit être posé avant même que la notion d’affordance puisse être précisée et devenir réellement utile.
Que sont les affordances ?
Le concept d’affordances n’est pas nouveau en design. Notamment, Norman4 l’a appliqué aux objets du quotidien. À titre d’exemple, d’étroites poignées de porte verticales suggèrent l’action de tirer tandis que de minces plaques horizontales, invitent à pousser Fig. 1.
L’interaction d’une poignée avec la motricité de l’homme détermine ses affordances. En saisissant une barre verticale, la main et le bras se retrouvent dans une configuration où l’action de tirer est facile ; au contact d’une surface plane, c’est celle de pousser qui le devient. Nous pouvons percevoir les affordances des poignées de porte parce que les attributs relatifs à l’action de saisir sont présentés à la perception. Au final, le chemin de la perception à l’action semble direct, et implique une facilité d’apprentissage souhaitable pour les artefacts. Cependant les informations perceptives peuvent suggérer des affordances qui n’existent pas réellement et à l’inverse, rendre celles qui existent imperceptibles. Par exemple, les poignées de porte verticales suggèrent l’action de tirer bien que les portes puissent être fermées à clé. En général, lorsque les affordances d’un artefact coïncident avec l’intention d’usage, l’artefact est facile à manipuler. Lorsque des affordances apparentes suggèrent d’autres actions que celles pour lesquelles l’objet est conçu, les erreurs sont alors courantes et l’utilisation de signes devient nécessaire.
Cet exemple illustre plusieurs aspects importants des affordances. Je développe ci-après l’idée des affordances comme propriétés de l’environnement pertinentes pour les systèmes d’action ; j’examine comment elles peuvent être perçues et relèvent les effets de la culture sur leur perception. En conclusion j’en propose une définition suffisamment large pour être intéressante une fois appliquée au champ du design, et suffisamment précise pour être utile.
La complémentarité de l’action
Les affordances impliquent la complémentarité de l’organisme agissant et de l’environnement sur lequel il agit. Plus fondamentalement, les affordances sont des propriétés de ce monde qui rendent possibles des actions pour un organisme équipé pour agir de certaines manières.
La possibilité de saisir une poignée de dimensions particulières dépend aussi de la taille du corps, de la main, etc., de celui qui saisit. De la même manière une chatière rend possible le passage d’un chat, mais peut-être pas le mien ; une embrasure de porte peut me permettre de passer, mais pas quelqu’un de plus grand. Les affordances sont donc des propriétés de ce monde définies en fonction des interactions des personnes avec celui-ci.
Les outils permettent différentes actions. En mécanique par exemple est employée une myriade de pinces, pincettes, serre-joints pour répondre aux différentes variations qu’elles offrent aux affordances du geste de saisir. Dans les interfaces il existe une variété similaire de dispositifs de saisie (claviers, souris, pavés tactiles) et de curseurs (flèches, pinceaux, mains) qui proposent une multitude d’affordances d’interaction5.
Perception et inter-référentialité
Les affordances sont par essence indépendantes de la perception. Elles existent, que l’on en soit conscient ou pas, qu’on les perçoive ou non, et indépendamment de l’existence d’informations perceptibles. Par exemple, un verre d’eau rend possible l’action de boire, même si je n’ai pas soif ; une balle rend possible un lancer même si personne ne la voit ; et un trou rend possible la chute même s’il a été camouflé. Les affordances existent indépendamment de leur perception, et c’est parce qu’elles concernent, de façon intrinsèque, des propriétés importantes qu’elles ont besoin d’être perçues6.
Distinguer les affordances des informations perçues à leur propos est utile dans la compréhension de la notion de facilité d’usage. Les exemples d’affordances les plus courants renvoient aux affordances perceptibles, dans lesquelles on trouve des informations qui peuvent être perçues quant à une affordance existante. En l’absence de ces informations, l’affordance est dissimulée et doit être déduite à partir d’autres preuves. Dans le cas où des informations viendraient suggérer une affordance qui n’existe pas, on parlera de fausse affordance et c’est ce type d’affordance qui peut induire en erreur lors du passage à l’action. Habituellement, nul ne vient à penser à une action déterminée en l’absence d’affordance ou d’information perceptible l’évoquant.
Rendre les affordances perceptibles est une approche pour concevoir des systèmes faciles d’utilisation. Les affordances sont inter-référentielles : les attributs d’un objet qui seraient pertinents quant à son utilisation sont disponibles à la perception7. Ce qui est perçu est ce sur quoi il est question d’agir. Cette situation nuance l’idée par laquelle les attributs perçus doivent être liés aux autres attributs permettant l’action, telle une représentation intermédiaire. Percevoir qu’une poignée de porte rende possible l’action de tirer ne nécessite pas de concept intermédiaire puisque les attributs relatifs à l’action de tirer sont disponibles. Savoir qu’une clé doit être tournée dans la serrure nécessite un intermédiaire puisque les attributs de cette action ne le sont pas.
De ce point de vue, les interfaces peuvent rendre des affordances perceptibles puisqu’elles peuvent délivrer des informations sur les objets sur lesquels il est possible d’agir. On peut considérer les affichages en termes de sous-catégorie d’informations perceptives disponibles où une variété de media rendent possible une multitude d’actions8. À titre d’exemple, les boutons apparents montrés en Fig. 2 semblent avoir une profondeur et s’extraire du fond. Ce fait n’a pas été laissé au hasard mais constitue le résultat de méthodes abouties sur la transmission de certains types d’informations. En termes de sémiotique, les marques sont, de manière nominale (par un rapport de causalité), liées à leurs référents, plutôt que symboliquement ou métaphoriquement. En un sens, les projections ordinaires ne nécessitent pas d’interprétation puisqu’elles ne dépendent pas de convention ou d’analogie. Leur signification est directement accessible à celui qui les perçoit9. Les objets graphiques organisés nominalement peuvent délivrer des informations sur les affordances lorsque l’information véhiculée graphiquement porte les attributs permettant l’activation d’un système.
Culture, expérience et apprentissage
La perception des affordances dépend bien entendu et en partie de la culture, du cadre social, de l’expérience et des intentions de celui qui les observe. Tout comme Gibson je ne considère pas ces facteurs comme partie intégrante de cette notion mais envisage plutôt la culture, l’expérience, etc., comme révélateurs d’affordances particulières. Dissocier les affordances et les informations relatives de leur perception réelle permet de les appréhender comme des propriétés analysables et façonnables en soi. L’apprentissage peut être perçu comme un processus de discrimination des grands motifs du monde, contrairement à l’idée de l’apprentissage comme processus d’implémentation des informations sensorielles avec des expériences passées. Dans cette perspective, ma propre culture et mes expériences ont pu déterminer le choix des exemples utilisés ici mais pas l’existence des exemples eux-mêmes.
Les affordances sont…
Le concept d’affordances met en évidence une configuration plutôt spécifique des propriétés. Il implique que les attributs physiques d’une chose sur laquelle il est possible d’agir sont compatibles avec les attributs de celui qui agit, que les informations concernant ces attributs sont à disposition sous une forme compatible avec le système perceptif, et de manière implicite, que ceux-ci et l’action qu’ils rendent possible sont en adéquation avec une culture [donnée] et celui qui perçoit. Les artefacts devront être analysés pour voir à quel point ils entrent dans cette configuration de propriétés et, par conséquence, quelles affordances ils véhiculent.
À titre d’exemple, MacLean et al.10 examinent un système d’affichage de boutons personnalisables et expérimentent des manières de les introduire auprès d’utilisateurs non initiés aux nouvelles technologies Fig. 3. Les utilisateurs comprennent intuitivement que ces boutons peuvent être « pressés » avec la souris mais ne saisissent pas spontanément qu’ils sont façonnables à leur guise. MacLean et al. interprètent ces résultat en concluant sur le besoin d’une « culture du personnalisable » pour aider les utilisateurs11. Mais considérons ce qui doit vraiment être pris en charge. Les boutons semblent inviter à leur propre pression mais pas à leur déplacement puisqu’ils semblent s’extraire de la surface de l’écran. Ils n’incitent pas à la réappropriation personnelle car ils ne suggèrent pas leur décomposition. Ils apparaissent comme des objets unitaires – empruntant un de leurs atouts comme métaphore d’interface – avec le désavantage de ne pas inviter à autre chose qu’à l’action de presser.
Tout comme les affordances des poignées de porte induisent la complémentarité entre poignée et motricité, les affordances des boutons à l’écran impliquent la complémentarité entre boutons et curseurs de souris. Une multitude de techniques d’affichage nous permettent de percevoir la possibilité de presser un bouton à l’écran, et le chemin entre perception et action semble tout aussi direct que pour les poignées de porte. Là encore, les informations perçues peuvent être trompeuses quant aux affordances des boutons ; dans ce cas précis, la capacité à déplacer ou éditer les boutons n’est pas relayée de manière perceptuelle.
Les affordances des actions complexes
Le précédent constat souligne l’importance des informations perceptives sur les affordances, obtenues de façon relativement passive. Mais il semble souvent n’y avoir que peu d’informations disponibles lorsqu’il s’agit d’affordances complexes. Comment savoir qu’une poignée de porte pivotante peut être tournée ? Est-ce que les barres de défilement suggèrent l’action de scroller ?
La notion d’affordances peut être étendue jusqu’à inclure explicitement l’exploration. Par exemple, la poignée de porte pivotante montrée en Fig. 4 semble suggérer sa prise mais une observation passive n’arrivera pas à indiquer l’affordance de tourner ou d’ouvrir une porte. Cependant une fois en main (B), une pression vers le bas, par mégarde ou par exploration, transmettra des informations tactiles qui révéleront l’affordance de tourner la poignée. Lorsque la poignée est complètement tournée (C) la nouvelle configuration semble être relativement naturelle à l’action de tirer. Le résultat de cette action indiquera la capacité de la porte à s’ouvrir ou non.
Ce qui est vrai pour les poignées de porte semble l’être aussi pour les interfaces. La barre de scroll conçue par Macintosh par exemple Fig. 5 semble induire sa prise, néanmoins les informations visuelles associées n’indiquent probablement pas l’affordance de pouvoir la déplacer ou l’utiliser pour naviguer dans la fenêtre. Cependant tout comme la prise en main d’une poignée de porte tend à mener aux informations tactiles indiquant la rotation, la sélection de la barre de défilement Macintosh donne accès aux informations visuelles signifiant la possibilité de la faire glisser. Ajouté à cela, la longue zone grise qui entoure la barre de scroll semble inviter à un type de déplacement spécifique – de haut en bas – mais aucun autre, comme le déplacement latéral.
Voilà des exemples d’affordances séquentielles, concept que j’introduis pour décrire les situations dans lesquelles agir sur une affordance permet d’obtenir les informations menant à de nouvelles affordances. La barre de scroll Macintosh déploie une séquence d’affordances où déplacer la barre est la suite naturelle de sa saisie. À l’opposé, les barres de défilement de Smalltalk 80 ne le font pas, celles-ci ne pouvant être saisies. Le geste de scroller nécessite ici de changer l’aspect du curseur par un déplacement le long de la barre de défilement, celui-ci pouvant indiquer une flèche vers le haut, le bas, les côtés, chose rendue permise par la pression d’un bouton de la souris Fig. 5. La barre de défilement de Smalltalk 80 manque d’inter-référentialité : il n’y a rien qui coordonne la perception et l’action avec l’appareil et donc aucune manière de tirer parti d’une affordance pour en explorer d’autres.
Les affordances séquentielles démontrent comment les affordances peuvent se révéler au fil du temps ; les affordances imbriquées décrivent quant à elles les affordances qui sont regroupées dans l’espace. Par exemple, une porte seule suggérera l’affordance de sa manipulation du fait qu’elle soit partiellement séparée du mur, mais pas le type de manipulation qu’il sera possible d’effectuer. Ce n’est qu’une fois que l’affordance de tirer la poignée est perçue, elle-même étant imbriquée dans l’affordance de tirer la porte, qu’ouvrir la porte apparaît en tant qu’affordance perceptible.
De manière similaire, la révélation d’une fenêtre d’écran peut être envisageable seulement si l’occultation de son contenu est apparente et si une barre de défilement suggère l’action du déplacement. Une affordance perceptible de scroller la fenêtre dépendra de l’affordance de déplacer la barre de défilement permettant à la fenêtre de se révéler. Dans les deux cas l’affordance imbriquée permet une fin en soi mais aussi un moyen de découvrir une autre affordance.
En général les affordances des objets complexes sont regroupées dans la continuité des informations qui rendent des activités visibles et possibles. Les affordances ne sont pas perçues de manière passive, mais explorées. Ce point de vue entraîne la conception d’une nouvelle métaphore qui soulignerait l’importance du rôle d’outil de conception pour transposer des affordances d’un domaine à un autre. Dans cette perspective, les utilisateurs n’ont pas besoin de connaître les métaphores de manière explicite. Il s’agit plutôt de considérer l’exploration des actions rendues visibles par les affordances comme menant à la découverte du système, plutôt que de penser que la conscience de la métaphore du système puisse mener à des attentes en termes d’affordances. L’apprentissage est entendu ici comme une question d’attention plutôt que d’inférence. Le rôle d’une bonne interface est d’orienter l’attention à travers des regroupements bien conçus d’affordances imbriquées et séquencées.
Les modes, les media et les affordances
Gibson12 se concentre presque exclusivement sur les affordances qui peuvent être vues, cela dit les affordances peuvent aussi être perçues via d’autres sens. Tout comme l’exemple de la poignée de porte pivotante l’énonce, les informations relatives au toucher constituent une source généreuse d’informations sur les affordances. Il est possible de sentir ce qu’il est possible de faire avec quelque chose – suffisamment chaud pour cuire un œuf, suffisamment tranchant pour couper une tomate, etc. C’est de manière comparable que les appareils de captation pourraient tirer parti de ces informations relatives au toucher. Par exemple, le renforcement d’un clic sur un bouton à l’écran par l’ampleur de la pression sur le bouton de la souris, ou encore les joysticks à retour de force permettant aux utilisateurs d’entrer en simulation. On pourrait imaginer de redessiner des souris à trois boutons en plaçant les deux boutons principaux sur les côtés, ce qui pourrait révéler les affordances de presser de part et d’autre, et de pousser.
Il est aussi possible d’entendre certaines affordances. Les exemples les plus typiques d’affordances dépendent des attributs de l’environnement tels que la taille et l’orientation des surfaces ; c’est à travers ces attributs que la vision capte de l’information. Le son, quant à lui, transmet de l’information sur les affordances relatives à la taille, au matériau et à la structure interne des objets, à la localisation, la nature et aux forces des interactions, et finalement au statut des processus qui s’y dissimulent13. Ainsi, le son produit par l’action de tourner une poignée de porte peut révéler l’affordance de déplacer la porte. Le son transmet des informations sur une affordance qui ne peut être perçue par la vue.
De la même manière les sons peuvent révéler les affordances des interfaces. Par exemple, sélectionner un objet dans un système de manipulation directe peut produire un son indiquant sa taille et son type, et ainsi signaler les affordances qui dépendent de ces attributs (qu’importe si l’objet peut être copié ou s’il existe d’autres effets associés à l’activation de l’objet)14. Tout comme la poignée de porte pivotante, les informations visuelles conduisent à une affordance séquentielle ; une masse importante d’informations auditives ouvre de nouveaux possibles. Les sons peuvent transmettre de l’information sur les affordances en combinaison avec le visuel. Par exemple, les sons signalant un processus en cours peuvent révéler des affordances sur l’utilisation d’autres outils interdépendants, ou encore les sons indiquant les activités d’autres personnes peuvent suggérer des affordances de collaboration, etc.15
De même que différentes modalités sont en mesure de révéler des affordances, nous pouvons caractériser divers media suivant les affordances qu’ils permettent. Par exemple, les chercheurs de l’EuroPARC ont étudié la communication à distance via des liens audio et vidéo contrôlables par ordinateur16. Bien que la vidéo puisse supporter plusieurs aspects de la communication face à face, elle n’a pas l’air de convenir dans l’usage de gestes en tant qu’outil de communication17. Une pensée sur les caractéristiques de la vidéo en tant que medium qui transmet des informations, les attributs requis au geste attendu et les informations nécessaires à leur perception pourraient nous permettre de reconcevoir le système pour mettre en valeur l’affordance voulue.
De manière générale, comprendre les affordances offertes par les media autres que graphiques peut aider à la conception de systèmes transparents. Quand les affordances visuelles ne peuvent être envisagées dans la conception des systèmes, la tendance est de se tourner vers la mise en place de méthodes symboliques pour transmettre l’information. Une approche plus fructueuse pourrait résider dans l’exploration d’autres méthodes pour relayer les affordances des actions.
Conclusions
La notion d’affordances est intéressante dans son approche directe des facteurs de perception et d’action qui rendent les interfaces faciles d’apprentissage et d’utilisation. En tant que méthodes d’analyse des technologies, les affordances se montrent utiles dans l’exploration des propriétés psychologiques inhérentes aux artefacts18 et les fondements logiques des designs 19. Plus généralement, tenir directement compte des affordances dans le design peut aider à améliorer l’usage de nouveaux artefacts.
Par l’apport et l’intégration d’une pensée de configuration complexe d’attributs, le concept délivre une méthode simple mais puissante pour aborder une vaste étendue de questions sur les interfaces. Cet article propose un cadre outillé pour le développement de méthodes d’application de cette notion au design. À l’échelle du détail ici, le concept présente une manière intéressante de penser des interfaces transparentes. Il encourage à considérer les appareils, les technologies et les media de par les actions qu’ils rendent possibles et évidentes. Il peut nous guider dans la conception d’artefacts qui mettent en valeur les affordances voulues et en écartent celles non escomptées. Plus important encore, il permet de nous concentrer non pas sur les technologies ou les utilisateurs, mais sur les interactions fondamentales entre les deux.
Remerciements
Je remercie Rachel Bellamy pour les premières discussions à propos de ces idées. Beaucoup d’autres personnes ont su apporter leurs contributions au fur et à mesure que les idées se sont développées. Je remercie en particulier Bob Anderson, Victoria Bellotti, Jonathan Grudin, Christian Heath, Allan MacLean, Tom Moran, Don Norman, Gary Olson, Judy Olson et Anne Schlottmann.
William GAVER. «Technology Affordances ». Actes de la Conférence CHI’91, New Orleans, Lousiana, 28 avril - 2 mai 199. New York : ACM, p. 79-84, 1991. Traduction de travail de Jérémy De Barros, révisée par Marie Lejault, pour Problemata (2022).
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