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Radical Notes 17

Louis Kahn Superstar

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Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de « Casabella » , du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 « Radical Notes ». L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du XVIIIe siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » ( « Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972 ). Texte proposé et présenté par Nathalie Bruyère.

Il faisait partie de ces personnages qui, en plus d’exister en temps réel, sont aussi une résurgence d’eux-mêmes, un signe qui nous rappelle une époque de notre vie, un détail important d’un tableau beaucoup plus vaste ; dans une édition complète d’American Graffiti1, entre les yaourts et la puberté, on devrait pas , apercevoir en arrière-plan, une partie de tennis entre Louis Kahn et Herbert Marcuse… Il nous a fait courir de graves dangers, mais aujourd’hui nous pouvons nous tourner vers son image avec le sourire pour nous souvenir « comme nous étions », sans courir le risque d’être en danger. Lorsque son étoile est apparue au début des années 1960, nous étions tous en train de nous disputer sur la perfection sociale-démocrate des quartiers scandinaves, et nous passions nos vacances à faire de l’auto-stop en espérant que les conductrices soient suédoises…

Entouré de médiocres professeurs qui discutaient de la préfabrication des écoles, Louis Kahn représentait la dimension biblique des campus universitaires américains, le mythe encore possible du Maître, le dernier exemple de la gérontocratie qui dominait le monde de l’architecture dans ces années-là (il entretenait des liens avec les Grands Pères, pour qui il était impossible de se rebeller). Sa référence aux origines classiques, et plus précisément romaines, était la réponse académique à la situation d’impasse dans laquelle se trouvait l’architecture moderne, qui continuait à être citée comme un « ordre » rationnel, dont la Villa Savoye représentait le Parthénon, et Siemensstadt2 la Polis. Louis Kahn a opposé à ces admirateurs de l’immobilier grec et euclidien,un décalage latin, une expérimentation mue par le destin, une référence à une façon romaine de comprendre l’architecture, où volume et structure, fonctions et monumentalité coïncident. C’est alors que les premières reproductions de Piranèse circulent et que les premières visites à la Villa d’Hadrien3 commencent à avoir lieu. Malheureusement, comme d’habitude, certains ne s’en sont jamais remis…

Après tout, les innovations de Louis Kahn en matière de composition étaient très modestes et, en ce sens, elles ont cependant servi à révéler comment les origines classiques étaient encore latentes juste sous la peau de l’architecture moderne. C’était le premier symptôme visible de la crise de crédibilité du Mouvement moderne, crise qu’il a lui-même vécue. C’était aussi la dernière occasion d’un débat fatigué sur l’architecture et ses lois de composition ; puis vint le déluge. C’était le déluge car tout le monde a soudain compris que Carnaby Street, les Animals, les Birds, Bob Dylan, les Beatles et The Mamas & The Papas étaient beaucoup plus importants, significatifs et complets que n’importe quelle prophétie destinée aux maçons. Nous nous sommes alors détachés de ces personnages et de ces canaux, et à partir de ce moment notre éducation s’est faite dans d’autres lieux et non plus dans les facultés d’architecture.

La défaite de Louis Kahn ne consiste pas tant dans la réfutation de ses théories, mais dans le choc et le saut général de la culture des jeunes, dans l’irruption de nouveaux médias puissants, et l’intrusion de la créativité publique. Sa défaite est principalement due aux instruments : le son d’un LP, les vêtements, les drogues sont des outils d’entraînement plus puissants que toute architecture. Le grand bond en avant consistait en la capacité de ces « médias profonds » à atteindre des masses imposantes dans toutes les parties du monde ; une révolution culturelle avait commencé, qui permet de surmonter le conflit sur les contenus pour investir le nombre incroyable de ses consommateurs.

L’architecture, en tant que communication culturelle, n’a aucune chance d’atteindre les objectifs « quantitatifs » des médias électroniques modernes ou des modèles comportementaux. L’architecture, dans un monde où le message circule partout comme un simulacre, reste un objet immobile qu’il faut atteindre en pèlerinage, un objet mi-instrument et mi-allégorie, fermé dans sa dimension disciplinaire, que seule une ridicule vocation monumentale peut imposer à un champ d’influence urbain restreint. La ville elle-même ne coïncide plus avec un « lieu architectural » mais avec un modèle de consommation. La qualité de ce modèle aussi importante que n’importe quelle structure municipale ; tout lieu accessible par la télévision, le téléphone, la mode, fait partie intégrante du système culturel urbain. La métropole n’est plus un lieu mais une condition… Que les morts enterrent les morts.

Avec Louis Kahn, l’architecture est morte, et pas seulement une simple conception de celle-ci, car il l’a comprise de la même manière que tout le monde l’a toujours comprise : un problème de qualité.

Casabella, vol. xxviii, n° 391, juillet 1974, p. 8.


Notule par Nathalie Bruyère

Pendant la période où Alessandro Mendini s’occupe de Casabella, du n°349 de juin 1972 au n° 413 en mai 1976, Andrea Branzi rédige 27 Radical Notes4. L’approche constitue clairement une critique de la dramaturgie du modernisme et de son langage formel. Andrea Branzi, en « détricotant » le mythe de la modernité, déconstruit la trame exposée lors des différents CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne). On peut noter que le designer écrit « Radical Notes » en anglais. On peut le voir comme une attache théorique aux évolutions de la société britannique où aristocratie et bourgeoisie organisent à partir du xviiie siècle la production industrielle mais aussi la hiérarchie entre haute culture et culture populaire. On trouve une analyse plus complète, « Du zeitgeist au progetto », dans la présentation, qui accompagne la traduction de la première Radical Notes « Stratégie du temps long » (« Strategia dei Tempi Lunghi », Casabella, n° 370, 1972).